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Yaoundé - 19 avril 2024 -
Finance

Raphaël Dumont : « Nous souhaitons promouvoir et renforcer l’entreprenariat local en Afrique centrale »

Raphaël Dumont : « Nous souhaitons promouvoir et renforcer l’entreprenariat local en Afrique centrale »

(Investir au Cameroun) - Responsable des investissements pour la filiale d'Investisseurs & Partenaires au Cameroun, Raphaël Dumont a échangé avec l'Agence Ecofin à propos des nouveaux objectifs de la firme spécialisée dans les investissement d'impact, avec une longue expérience et une présence importante en Afrique centrale.

Agence Ecofin : I&P a décidé de se réorganiser et de faire du Cameroun son hub en Afrique Centrale, quels sont les arbitrages qui ont guidé ce choix?

Raphaël Dumont : I&P est au Cameroun depuis 2004 déjà où il a investi dans des petites PME appartenant à différents secteurs, à travers des fonds propres et sous forme de dettes. La forme juridique de notre présence, c’était une succursale, on l’a fermé il y a trois ans de cela et on a ouvert une filiale pour être dans la durée et couvrir toute l’Afrique centrale. C’est une zone d’opportunités pour nous, principalement au Cameroun qui est une économie diversifiée et qui abrite des entrepreneurs très dynamiques.

A.E : Quel est le niveau actuel de votre présence dans cette sous-région dans laquelle vous souhaitez vous renforcer ?

R.D : Nous suivons dans la zone un portefeuille de 9 sociétés. Ne sont pas prises en compte ici les sorties que nous avons déjà effectuées (2 sociétés LOOP et Ken Atlantic). Il y en a six au Cameroun, une au Gabon, une en RDC et une autre dans laquelle nous venons d’investir et qui a une présence panafricaine. C’est le groupe Enko, qui opère dans le secteur de l’éducation et qui est présent dans plusieurs pays africains. Il est à nos yeux un modèle très intéressant en raison du degré d’impact qu’il génère sur celui de la formation. La stratégie qui est la nôtre est d’avoir une présence réelle dans les pays où nous investissons et on est un des rares fonds d’investissement à pratiquer un tel déploiement.

A.E : Quelles sont à moyen termes vos objectifs concernant de nouveaux investissents et quels secteurs ciblez-vous ?

R.D : Il faut savoir que I&P est une famille de fonds. Actuellement on est sur le fonds I&P Afrique Entrepreneurs (IPAE) qui arrive déjà à maturité. Il a été lancé en 2012 et comme la durée de nos fonds est de 10 ans et que nous investissons pour une moyenne de 5 ans, notre dernier investissement avec ce fonds sera effectué début 2017. Sur ce fonds là nous pouvons encore faire des investissements en Afrique centrale mais pas vraiment des investissements futurs. Par contre nous sommes en train de lever de nouveaux fonds pour prendre la suite d’IPAE. Ce sera IPAE II. Il sera similaire à IPAE I, avec un montant supérieur, et des engagements d’un niveau un peu plus élevé. Qui pourrons aller jusqu’à 3 millions d’euros.

A côté d’IPAE II nous sommes aussi en train de lever I&P Développement 2 (IPDEV 2), qui lui sera un fonds de fonds pour soutenir des initiatives d’investissements présents dans chaque pays. A ce jour IPDEV 2 a déjà constitué des fonds locaux au Sénégal, au Niger et au Burkina Faso et devrait être bientôt présent en Côte d’Ivoire et à Madagascar. L’idée c’est d’installer un fonds local qui, lorsqu’il aura été constitué, permettra de soutenir des investissements de tailles plus réduites, entre 20 000 euros et 300 000 euros. Nous avons divers fonds qui nous permettent d’intervenir à plusieurs niveaux et de faire un peu du sur mesure.

Le troisième fonds qui est en train d’être lancé actuellement, c’est I&P Afrique Infrastructure (IPAI), qui est destiné aux petites infrastructures. C’est un secteur dans lequel nous n’investissions pas suffisamment, et les tailles d’investissements, vont entre 3 et 15 millions d’euros. Les infrastructures dont il est question peuvent concerner l’accès aux énergies renouvelables, la santé, une clinique ou une université à construire. Sur les secteurs que nous visons ce sont ceux qui produisent le plus d’impacts tout en développant l’entreprenariat local. Nous regardons avec attention tout ce qui concerne les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Cette considération d’impacts pèse aussi dans le choix des secteurs. Nous nous assurons de créer le maximum d’emplois et, pour ce qui est du Cameroun, c’est la raison pour laquelle nous sommes très présents dans l’agriculture et l’agro business, à la fois parce qu’ils emploient beaucoup de personnes et font aussi de la transformation locale, et par conséquent, génère vraiment de la plus-value. Le secteur de la santé nous intéresse aussi et le BTP qui est en pleine croissance.

A.E : Comment sont sélectionnées les entreprises dans lesquelles vous investissez, quelle est le processus et la démarche que pourraient avoir une entreprise pour bénéficier de vos financements ?

R.D : Déjà nous ne pouvons que soutenir des entreprises qui sont dans des besoins conformes à la taille de nos portefeuilles de participation. Une société qui a besoin de 10 millions d’euros, forcément on n’y sera pas. Ensuite nous investissons sous la forme de capital développement, nous ne sommes pas un fonds de start-up. La proportion de projets Greenfield est assez faible car notre modèle, c’est plus le développement pour passer à l’étape supérieure, la formalisation et l’expansion internationale. Nous apportons aussi notre expertise acquise dans près de 60 investissements en Afrique. La personnalité de l’entrepreneur joue également un rôle. C’est pourquoi nous prenons toujours le temps de bien connaitre les dossiers, et cherchons à comprendre les personnes avec lesquelles nous discutons. Sur le background des promoteurs, on retrouve tout type de profil. On a des Camerounais ayant débuté et progressé localement, ceux qui ont été formés en Europe qui retournent investir ou encore des Européens qui développent des affaires localement. Nous ne sommes fermés à aucune option pour peu que le projet ait un impact et une perspective de progression pertinente. Enfin, nous sommes regardants aussi sur les aspects de formalité. Les entreprises qui ne sont pas enregistrées, n’ont pas une situation fiscale à jour ou encore ont une double comptabilité ne nous intéressent pas. Il est aussi souhaitable que ces sociétés soient ouvertes en capital car nous investissons de manière minoritaire, même si nous sommes présents dans la gestion et l’organisation stratégique de l’entreprise soutenue.

A.E : Dans la pratique comment se passe le financement ? Peut-on dire que vous êtes dans des prises de participation avec effet de levier ?

R.D : Nous faisons des apports en fonds propre dans la société. Nous ne prenons pas de garantie, juste une part minoritaire dans le capital de la société. Nous pouvons également investir en quasi fonds propres à travers des prêts participatifs. Pour l’entrepreneur, c’est plus attractif car le taux d’intérêt sur ce prêt à deux composantes : un taux fixe qui est plus faible que celui du marché bancaire conventionnel et un taux variable qui va varier en fonction des performances opérationnelles de l’entreprise. Ainsi, si elle marche très bien, la trésorerie peut refinancer le remboursement de la dette. Par contre, si cela ne marche pas, elle n’est pas asphyxiée par le remboursement de son emprunt. C’est une prise de risque assez importante de notre part, car on ne demande pas de garantie, au contraire des banques qui demande parfois de donner jusqu’à 150% de collatéral sur le montant prêté.

A.E : Dans ce type d’investissement comment se dessine la stratégie de sortie?

R.D : C’est effectivement un des grands points de notre engagement car il est assez complexe de définir une stratégie de sortie lorsqu’on a investi dans une Petite et Moyenne Entreprise en Afrique, il y a un peu moins de monde qui se bouscule pour les reprendre. Cela fait que le marché secondaire, dans les investissements d’impacts, est beaucoup moins mature que sur des segments d’investissement un peu plus relevés. De ce point de vue, nous sommes assez novateurs car des investisseurs qui injectent jusqu’à 500 000 euros, on n’en trouve pas beaucoup. Très souvent les engagements se font, soit dans de petits segments avec la microfinance (de 50 à 30 000 euros), soit dans de gros projets (plus de 10 millions d’euros). L’avantage de notre position c’est qu’il y a beaucoup d’opportunités d’entrées. Après, pour la sortie c’est un peu plus difficile. Nous nous positionnons dessus avec un pacte d’actionnaires au départ, en même temps que nous introduisons, de commun accord avec le promoteur, une clause de sortie. Nous essayons toujours de privilégier l’option qui permet à l’entrepreneur de reprendre sa structure à la fin de l’intervention, en rachetant nos parts. Comme cela demande parfois une liquidité importante, parce que la société a fait une croissance importante, on privilégie du montage avec des prêts participatifs, car cela demande moins de liquidités de la part de l’entrepreneur une fois le prêt remboursé par l’entreprise. Si l’entrepreneur n’est pas capable de racheter nos parts, nous essayerons de trouver des repreneurs avec l’accord de son promoteur, en faisant entrer des investisseurs soit financiers, soit stratégiques. Je voudrais préciser que le fait qu’on soit minoritaire dans ces PME, ne nous rend pas toujours les choses faciles s’il faut vendre nos parts, c’est une vraie difficulté de notre métier, que nous assumons pleinement. Jusqu’ici nous avons réussi des sorties magnifiques, car la plupart des sociétés que nous avons accompagnées à travers le fonds IPAE ont réalisé 25% de croissance par an en moyenne. La sortie est difficile, et cela nous donne plus de responsabilité que dans le cadre d’un financement classique. Nous avons le cas au Cameroun d’une entreprise qui croit de plus de 25% par an.

A.E : I&P n’est pas un financier classique qui fait la publicité de ses produits à la télévision, comme le ferait une banque, comment rentrez-vous en contact avec vos entreprises cibles, est-ce qu’il y a un mécanisme précis que vous utilisez ?

R.D : Je bénéficie pour ma part d’un travail qui est fait depuis près de 14 ans par I&P. Ce dernier a très tôt mis l’accent sur la communication. Ce que nous faisons est assez important, cela a valeur d’exemple, car nous souhaitons que cela se développe en Afrique et c’est vraiment important de communiquer sur ce qu’on fait. Du coup sur l’année pour ce qui est de l’Afrique centrale, je dois recevoir une centaine de dossiers, ce qui est déjà important compte tenu de notre stratégie et de notre approche progressive et prudente. Beaucoup de gens qui viennent à nous vont sur notre site internet et nous y contactent. Effectivement des gens au Cameroun ou un autre pays d’Afrique centrale qui souhaitent nous rencontrer peuvent faire pareil et au niveau central les dossiers sont redistribués en fonction des zones géographiques. Il y a des entreprises que j’ai contactées moi-même après avoir vu leurs profils notamment sur le magazine Investir Au Cameroun. On y présentait des start Up. Nous y avons trouvé des sujets avec un impact social fort, dans le domaine de la santé ou de l’éducation. Il faut aussi dire que le groupe bénéficie de l’aura de son patron Jean Michel Severino qui connait bien la région et jouit d’une grande crédibilité.

A.E : Pour avoir les fonds que vous investissez, vous devez les mobiliser. Est-ce que vous avez ce type d’objectif en Afrique centrale au regard du volume de liquidité des assurances et des fonds publics ?

R.D : C’est un sujet très important pour nous, surtout pour notre identité qui est orienté sur des investissements en Afrique. C’est une bonne chose d’avoir des actionnaires africains. C’est déjà le cas avec le groupe Bank of Africa qui est actionnaire. C’est aussi le cas avec un groupe dont l’actionnariat n’est pas typiquement africain, mais qui est bien déployé dans la région, notamment CFAO. Il y a aussi des sociétés qui ont un intérêt fort pour l’Afrique comme le groupe Danone. Avec IPAE II nous recherchons effectivement à avoir de nombreux contributeurs africains. De ce point de vue, nous sommes intéressés par tout type de contact avec lesquels nous pourrions avoir ces discussions.

Sur le fonds IPDEV 2 destiné à soutenir des fonds locaux, le besoin de mobiliser des investisseurs locaux est encore plus fort. De ce point de vue, nous pensons aux sociétés d’assurance, au secteur des télécommunications, des grands groupes industriels et pourquoi pas aux fonds de pension publics. Nous sommes vraiment ouverts si ces institutions sont capables de financer en fonds propres des projets de long terme.

A.E : Comment justifier que vous soyez en confiance dans cette sous-région alors que beaucoup de personnes semblent s’y désintéresser, surtout avec la baisse actuelle des prix des hydrocarbures, une ressource qui compte pour ses revenus?

R.D : C’est vrai que cette région a de nombreux défis. Le transport y est cher, l’accès à l’énergie n’est pas évident, la population n’a pas toujours le pouvoir d’achat pour stimuler une forte demande et de la croissance. En gros il y a des facteurs de découragement. Tous ces défis cachent aussi des opportunités très importantes. Si on parvient à être un acteur très structuré. Si on parvient à respecter les délais et à faire preuve de professionnalisme, on peut s’imposer sur le marché local.

Je pense notamment au Gabon où nous avons investi dans une société de BTP (Trianon) qui est très petite comparé aux géants du secteur. Grâce à la qualité de ses interventions, elle a réussi à gonfler son carnet de commande.

Le Cameroun impressionne d’autant plus que l’entreprenariat y est fort. Tout le monde essaye d’avoir une activité. Il faudrait simplement réorganiser tout cela, pour transformer cette dynamique en vrai machine à générer de la valeur ajoutée. Enfin je dois dire que même si c’est à petit pas, les classes moyennes se constituent dans les grandes villes de la sous-région, et je peux le dire pour Douala ou Yaoundé. Nous avons aussi la chance de connaître l’environnement et nous parvenons à y faire émerger des opportunités intéressantes d’investissement.

A.E : Est-ce qu’il est juste de dire qu’I&P est une version amélioré de Proparco, pour ce qui est du soutien aux moyens investissements ?

R.D : Nous avons une démarche assez différente, même si le Proparco est un de nos actionnaires. Aussi nous faisons certains co-investissements avec eux, c’est le cas notamment pour ce qui est d’Enko Education. La grande différence, c’est qu’eux font beaucoup de prêts et presque pas de d’intervention en fonds propre. Aussi, les montants injectés par le Proparco sont beaucoup plus importants que les nôtres

A.E : Le Cameroun a récemment signé des accords de partenariat économique avec l’union Européenne, comment cela influe-t-il votre stratégie ?

R.D : C’est vrai que nous n’avons pas une approche macro, qui consiste à partir d’une opportunité macroéconomique comme es APE pour bâtir une stratégie. Nous, on part des opportunités pour créer des sociétés compétitives avec de solides performances. C’est vrai que ces accords peuvent permettre le développement de certains secteurs. Pour nous toutefois, on développe une approche qui consiste à partir du bas pour progresser vers le haut.

Interview réalisée par Idriss Linge

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