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Yaoundé - 28 mars 2024 -
Economie numérique

Kone Dowogonan : « l’essor du Retail au Cameroun concourt à faire grandir le e-commerce »

Kone Dowogonan : « l’essor du Retail au Cameroun concourt à faire grandir le e-commerce »

(Investir au Cameroun) - Succès, difficultés, opportunités et ambitions au Cameroun du leader du e-commerce en Afrique, avec le directeur général de la filiale locale de Jumia.

Investir au Cameroun : Comment se passe la journée de travail d’un directeur général de Jumia au Cameroun ?

Kone Dowogonan : Chaque journée est différente. Au départ, quand on arrive on a une routine : c’est d’abord faire une revue des points chauds de la journée, faire un point avec les équipes pour se rassurer qu’on est en phase sur la journée qui va se dérouler, ensuite on rentre dans différentes problématiques. Chaque jour, il y a des challenges différents. En après-midi, c’est le travail en entrepôt. On va voir les équipes pour se rassurer qu’il n’y a pas de problèmes. En fin de journée, c’est beaucoup plus des rendez-vous avec des partenaires, des vendeurs, ou encore la presse. Donc, c’est assez atypique comme programme de la journée. Mais, cela change tout le temps en fonction des défis. Il faut faire preuve de beaucoup de flexibilité, parce que nous sommes dans un domaine qui est très changeant, très mouvant. 

IC : En 2017, le Cameroun a occupé le dixième rang africain en termes d’e-commerce. Jumia est un gros acteur de ce secteur, quelles sont les dynamiques qui, selon vous, ont permis d’atteindre ce niveau et de continuer de progresser ?

KD : Le marché camerounais est un marché qui a énormément évolué. D’abord, le taux de pénétration de l’internet a contribué fortement à la démocratisation du e-commerce. Aujourd’hui, on est à plus de 20% de pénétration de l’internet. Ensuite, on a une population qui est de plus en plus tournée vers le digital. La population qui découvrait le e-commerce il y a 5 ans sortait d’une phase qui était beaucoup plus cadencée par des problématiques d’arnaque en ligne. Aujourd’hui, les gens font de plus en plus confiance au e-commerce et redécouvrent cette manière de vivre. Donc, de plus en plus de gens rentrent dans cette dynamique-là. Bien que nous soyons encore loin d’avoir un taux de pénétration de plus de 50%, on y travaille de plus en plus.

C’est vrai qu’on a une problématique d’adressage au Cameroun. Mais, nous on a essayé de régler cela en créant des points de relais, qui sont des points de proximité pour nous rapprocher de nos clients. On a mis en place le paiement à la livraison, pour accroître la confiance et éviter le risque que les clients voyaient à travers le e-commerce. Donc, on a essayé de faire en sorte que ces problématiques soient beaucoup plus des opportunités, pour aller de l’avant. 

 IC : La question qu’on se pose souvent c’est comment fait-on pour devenir vendeur sur votre plateforme, comment choisissez-vous les partenaires qui vous permettent de satisfaire les demandes de vos clients ?

KD : Nous avons différents types de partenaires. Concernant les vendeurs, pour être vendeur chez Jumia, il faut déjà être quelqu’un qui vend un bien ou un service. Lorsque je parle de bien et service, c’est parce qu’en général lorsqu’on parle de Jumia, on voit toujours le site supermarché qui vend un peu de tout. Nous vendons également des services. Donc, si vous êtes un partenaire qui vend des billets d’avion, des services, des prestations, vous pouvez vendre chez Jumia.

Pour ce faire, c’est très simple. Vous pouvez soit vous rapprocher de nos équipes via le call center, ou venir dans nos bureaux, soit remplir un formulaire en ligne. Une fois que vous le faites, vous êtes contactés par une équipe et on vous prend en main. En quarante-huit heures maximum, votre profil est créé, on vous forme sur l’utilisation de la plateforme pour mettre des produits en ligne, pour vendre. En moins de trois jours, vous avez vos premières ventes, ce qui est très rapide et très différent du commerce traditionnel. Maintenant, au niveau des partenaires comment on les choisit ? Nous avons différents types de partenaires. Il y en a qu’on appelle les partenaires logistiques. On essaie de travailler avec des gens qui ont pignon sur rue. Qui ont une force logistique qui est vraiment réelle et capable de suivre la progression de Jumia.

Ensuite, on a des partenaires comme des médias, qui essaient de nous accompagner dans le cadre de notre progression. Nous essayons de travailler avec ceux qui sont fiables. Nous avons aussi des partenaires dans le domaine de la téléphonie, comme MTN, Orange, Yoome et bien d’autres. Ce sont là des partenaires qui ont des solutions pour accompagner les clients. Aujourd’hui, les clients ont la possibilité de payer par Mobile Money sur notre site internet, c’est avec ces partenaires-là qu’on a intégré ces solutions sur notre plateforme. En résumé, être vendeur sur Jumia c’est très facile. Il suffit juste de franchir le pas, de venir nous voir et on vous tient par la main.

IC : Une fois qu’on répond à ces critères, comment garantissez-vous la crédibilité et la fiabilité des produits et services promus sur votre plateforme ?

KD : Une fois que vous sollicitez d’être vendeur sur Jumia, il y a plusieurs étapes. Nous avons déjà une politique interne, qui nous exige d’abord d’avoir des vendeurs qui ont des papiers. C’est un terme familier pour dire qu’il faut remplir toutes les exigences réglementaires. Si vous n’êtes pas une structure du type Société anonyme, une SARL ou toute autre structure légale, ce n’est pas possible de vendre en ligne. Nous avons un partenariat avec le ministère des PME, qui permet qu’on aide les vendeurs à pouvoir se normaliser.

Chez Jumia, la qualité est un facteur clé. C’est la raison pour laquelle lorsque vous vendez sur Jumia, on s’oblige de vérifier que les produits que vous proposez sur la plateforme sont en conformité avec ce que le client attend. Nous faisons des vérifications de qualité pour vérifier cette adéquation-là. Ensuite, on fait le chocking, pour nous rassurer que le partenaire, le vendeur ou le client qui vient sur notre plateforme est quelqu’un de fiable, qui n’a pas de problèmes avec la justice, qui respecte la règlementation en vigueur.

IC : Quelles sont les compétences qui vous permettent aujourd’hui de maintenir le business actif, et quelles sont les compétences dont vous avez besoin pour les prochaines étapes de votre développement ?

KD : Dans le cadre de son essor, Jumia Cameroun s’est appuyé sur différents types de compétences. Aujourd’hui, on touche tous les corpus de métier qu’on connait, à la fois du commercial, du marketing, des opérations, de la logistique et de la finance.  C’est fort de notre force en marketing, dans le commercial, la logistique et les opérations, que nous arrivons à avancer. Mais, comme toute entreprise du digital, demain on sera appelé à se métamorphoser et aller de l’avant. Cela veut dire qu’on aura besoin de développeurs, pour mieux développer notre plateforme, mieux intégrer les nouveaux logiciels qui seront mis en place. On aura également besoin de commerciaux, parce qu’il faut accompagner nos vendeurs, pour avoir les meilleurs prix, les meilleurs produits. On aura besoin des marketistes, parce que le marketing a un gros poids dans l’approche que nous avons. Nous devons présenter les produits de la meilleure des façons, toucher les clients avec différents concepts novateurs.

Dans le même temps, on aura besoin d’opérateurs. C’est à la fois le call center, c’est-à-dire appeler les clients et vérifier globalement que les commandes passées sont bonnes, c’est globalement gérer la santé du business, la logistique qui est la clé et le cœur de notre business, parce qu’elle permet d’apporter le colis au plus près du client. Aujourd’hui, vous pouvez commander vos produits sur nos sites au meilleur prix et à la meilleure qualité que vous avez. Mais, s’il n’est pas livré chez vous, vous n’aurez pas ce produit-là. Donc, pour nous la logistique c’est également un élément clé. Cela veut dire que nous exhortons tous les jeunes qui sont intéressés à travailler dans le digital, à se rapprocher des structures comme Jumia, pour écrire avec nous une page du parcours que nous construisons au fur et à mesure. On touche tous les métiers, toutes les obédiences, ils ne doivent surtout pas hésiter. 

IC : Partagez avec nous deux succes stories qui représentent, à vos yeux, des impacts forts de l’entreprise que vous dirigez, sur le quotidien de vos partenaires vendeurs ou de vos consommateurs ?

KD : En termes de succes stories, il faut dire que depuis ma prise de fonction, j’ai été édifié par certains vendeurs. Tous réussissent, tous vont de l’avant, mais certains m’ont vraiment touché d’un point de vue personnel. Je parlerai en l’occurrence d’un vendeur de Douala. Au départ, il vendait tout simplement de petites bouilloires, au rythme d’une ou deux pièces par semaine. Il était très réfractaire au projet d’e-commerce. On a dû le démarcher durant une à deux semaines, lui montrer que cela pouvait marcher. De fil en aiguille, il a eu le vent en poupe et aujourd’hui, il vend entre 100 et 200 bouilloires par jours.

Avant, lorsqu’il venait nous voir, il racolait une moto. Aujourd’hui, il gare une Mercedes ML dans notre parking. Pour moi, c’est un vendeur qui inspire. Quand on part du statut de simple vendeur dans un marché, qui n’avait pas de perspectives de vente, pour devenir un vendeur qui compte sur l’échiquier camerounais, c’est inspirant. Ses articles se retrouvent à Ngaoundéré, Bertoua, Bafoussam, Limbe, un peu partout, alors qu’il n’a pas d’entrepôts. Pour moi, c’est une vrai success story. Ensuite, il y a des vendeurs qui ont commencé chez nous, en vendant des marques de télévision qui n’étaient pas connues. Aujourd’hui, ces marques arrivent parfois à déclasser de grandes marques comme LG ou Samsung. Ces vendeurs-là, au départ, on a su les accompagner, leur montrer le potentiel du marché et leur faire partir de leurs plates-bandes, qui n’étaient pas forcément le secteur de la télévision, pour en faire de gros vendeurs. Tous ces vendeurs-là pour nous, c’est comme une pépinière de vendeurs qu’on accompagne depuis le début et qu’on voit murir. Chez Jumia, nous avons un business gagnant-gagnant. Lorsque nos vendeurs grandissent, nous grandissons et nous avons des clients qui sont contents. 

IC : On voit de plus en plus arriver au Cameroun de grands groupes de distribution et le développement des hypermarchés. Jumia Cameroun perçoit-il cette situation comme une opportunité ?

KD : C’est vrai qu’au Cameroun on assiste à un essor des distributeurs traditionnels. De plus en plus, nous avons des grandes marques de distributeurs qui apparaissent sur le marché, notamment Carrefour, BAO, Super U, Mahima, etc. Beaucoup se dirait okay, ce sont des concurrents directs de Jumia. Non ! Pour nous, c’est une opportunité. D’abord, ces grands distributeurs nous ramènent de nouvelles offres sur le marché. Il faut savoir que le marché camerounais est un marché où l’offre est complexe. Leur arrivée permet de démocratiser un peu plus le Retail (offre de produits au détail) et d’étoffer les offres.

Ensuite, ces distributeurs-là sont des partenaires. Je peux citer l’exemple de Carrefour, qui a signé un partenariat avec nous. Il y a BAO, Super U et Mahima, qui travaillent avec nous, parce que nous avons une offre complémentaire. Ces structures-là sont localisées. Nous avons une obédience beaucoup plus nationale. On leur permet aujourd’hui, de vendre leurs produits au-delà de leurs rayons de vente. Typiquement, un client qui est à Ngaoundéré et souhaiterait acheter des produits Carrefour, c’est très simple, il achète chez Jumia. Il aura les mêmes produits, la même qualité et il les aura plus rapidement. Donc, on peut dire que cet essor du Retail au Cameroun concoure à faire grandir le e-commerce. Il nous permet de servir nos clients, en leur proposant beaucoup plus d’offres et beaucoup plus de choix. 

IC : Parlant de défis, quels sont ceux que vous rencontrez, et estimez que s’ils sont éliminés, les affaires de Jumia iront plus vites ?

KD : Dans le cadre du e-commerce, on doit aller à l’encontre de beaucoup de problématique. Tout d’abord, on parlera du défi des infrastructures routières, qui rendent complexe la livraison des colis. Envoyer un colis à Kousséri (Extrême Nord, à la frontière avec le Tchad), c’est très compliqué. Cela prend énormément de temps, et fait en sorte qu’on n’arrive pas à livrer rapidement ces clients. Aujourd’hui, avoir plus d’infrastructures sur le territoire nous permettrait d’aller plus vite.

Ensuite, il y a de nombreuses personnes qui souhaitent passer du marché gris vers un marché plus normalisé. On souhaiterait donc que le gouvernement nous accompagne dans la création de structures permettant à tout le monde de devenir vendeur sur notre plateforme. Par ailleurs, nous avons la problématique du paiement. On souhaiterait que les différents opérateurs comme Orange, MTN et les autres, démocratisent un peu plus le paiement via Orange ou MTN Money. Pour quoi ? Eh bien, parce que dans l’ADN de base d’un gestionnaire de plateforme d’e-commerce, c’est le prépaiement qui est à l’avant. On a adapté notre approche avec le paiement à la livraison, mais il serait préférable de payer en amont.

Au-delà de tout cela, comme toute structure, nous avons des problématiques locales. Par exemple, nous n’avons pas beaucoup de partenaires dans la logistique, pour assurer la livraison des produits. Nous aidons beaucoup de nouvelles start-up et des entreprises de petite taille à se développer. Adresser ces problématiques nous aiderait vraiment. Mais il faut dire qu’au-delà de tout, ce qu’on essaye de faire à Jumia, c’est de faire en sorte que ces problématiques et ces défis soit beaucoup plus des opportunités qui nous permettent d’aller de l’avant.

Je le répète, chaque fois que nous parlons de notre modèle d’e-commerce dans les pays européens, personne ne croit à son fonctionnement, pourtant il marche. Nous avons, par exemple, adopté le paiement à la livraison parce que les populations locales étaient craintives et avaient des problèmes de bancarisation. Cela nous a permis de lancer pleinement ces services-là. Donc, au-delà de tout, on essaye d’aller de l’avant, de faire en sorte que ces opportunités nous permettent de croître et de faire bénéficier de nos offres aux clients.

IC : Depuis quelques semaines, Jumia est coté sur le New York Stock Exchange. Comment cette évolution des choses se transformera-t-elle en plus d’opportunités, notamment pour les jeunes camerounais ?

KD : Il faut dire avant toute chose que c’est une réelle fierté pour Jumia d’être listé sur le New York Stock Exchange. Nous sommes aujourd’hui la première entreprise technologique africaine à être sur cette bourse. Cela signifie que nous avons des partenaires et des investisseurs qui font confiance à notre projet. Cela veut également dire que l’Afrique est dynamique, que l’Afrique qui innove est reconnue par-delà les frontières. Quel apport pour Jumia Cameroun ? Déjà, être listé sur la Bourse de New York nous donne un assentiment du marché, que nous sommes une entreprise fiable, avec laquelle on peut prospérer. Cela nous permettra d’aller démarcher de nouveaux partenaires, de faire venir de nouvelles marques au Cameroun et être un vrai acteur qui compte sur le marché.

Pendant longtemps, nous avons eu des partenaires qui doutaient un peu de la viabilité de notre projet. Être listé à ce niveau montre notre sérieux et notre engagement à construire dans la durée, et à servir nos clients comme il le faut. Je ne manquerai pas de remercier nos clients et partenaires sans lesquels on n’aurait pas atteint ce niveau. Ce n’est qu’un commencement, nous comptons faire du Cameroun un pays où le commerce est pleinement digitalisé et tourné vers l’avenir.

Entretien avec Idriss Linge 

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