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Yaoundé - 19 avril 2024 -
Environnement des affaires

L’Afrique veut parler d’éthique

(Investir au Cameroun) - L'Afrique est soumise depuis plusieurs décennies aux observations critiques de nombreuses organisations internationales, ONG et autres associations, pour la plupart occidentales. Mais la récente crise financière mondiale et ses conséquences dramatiques ont rappelé que le déficit d'éthique est largement partagé par la terre entière.

En septembre 2000, lors de l'assemblée générale de l'ONU, Paul Biya avait revendiqué la création d'un Comité mondial pour l'éthique. Suite à la crise financière internationale, il a, neuf années plus tard, renouvelé son appel à cette même tribune : « Je préconisais il y a quelques années du haut de cette tribune la création au sein des Nations Unies d'un Comité mondial pour l'éthique, car c'est bien une conjonction de dérives morales, de graves entorses à l'éthique, qui se trouve à la base de la crise financière actuelle que connaît le monde. » Sera-t-il entendu, cette fois-ci ?

« En Afrique, cette vision occidentale rencontre une réalité qui lui résiste avec une force particulière. Elle lui reste insoumise et rebelle : ni la sphère économique n'y est autonome par rapport au reste du social, ni la lettre de la loi ne peut se passerde la médiation de la sagesse traditionnelle. »

Que le président d'un pays africain classé par différentes organisations internationales parmi les plus corrompus de la planète en appelle à l'éthique ne manquera pas de surprendre les tenants d'un ordre mondial qui place toujours le Nord au-dessus du Sud, y compris sur le plan de la morale. Pourtant, aux yeux des spécialistes, la démarche du président camerounais ne manque pas de pertinence.

Lois et loyautés
Interrogé à ce sujet, le professeur Paul Dembinski, secrétaire général de l'Observatoire de la finance, à Genève, reconnaît qu'il est « opportun d'examiner les prémices dont découle le sens profond que l'Occident donne aux termes tels que corruption, opacité ou éthique ». Pour ce pionnier de l'éthique en finance, il faudrait tout d'abord distinguer la loi et la morale : « Dans le regard qu'il porte sur l'éthique, le monde occidental privilégie la loi, y compris celle des contrats, et y voit la référence ultime des normes de l'éthique. Ceci est particulièrement vrai pour le monde et l'éthique dits des affaires. Il en découle la primauté postulée de la règle juridique, censée transcender toutes les loyautés personnelles. » Ainsi, réduire la question éthique au respect de la loi reviendrait à admettre que l'éthique n'a pas de place dans une vie économique que seule la loi serait censée encadrer. « En Afrique, cette vision occidentale rencontre une réalité qui lui résiste avec une force particulière. Elle lui reste insoumise et rebelle : ni la sphère économique n'y est autonome par rapport au reste du social, ni la lettre de la loi ne peut se passer de la médiation de la sagesse traditionnelle. Les acteurs, loin d'être des algorithmes de maximisation, évoluent au cœur de loyautés parallèles et multiples », constate le professeur.

Pour une définition partagée de l'éthique
Cette différence d'approche de l'économie et des relations sociales fait de l'Afrique un acteur incontournable dans le cadre d'une redéfinition de l'éthique, qui serait partagée par l'ensemble des cultures et non plus corsetée du nord au sud et d'est en ouest par le droit romain ou anglo-saxon. « L'Afrique a beaucoup changé au cours des cinquante dernières années et paraît prête à un large débat d'idées », déclarait le mois dernier Paul Biya à la tribune de l'ONU.
« Chiche ! », répond Paul Dembinski : « Il n'y a pas de raisons aprioriques pour que la réponse que propose actuellement l'Occident soit la plus appropriée pour des continents tels que l'Afrique, venant de traditions culturelles différentes. Un programme de recherche interdisciplinaire pourrait être mis sur pied afin d'étudier le rapport, d'une part, entre le social et l'économique et, de l'autre, entre la loi et l'éthique. »

Dominique Flaux

 

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