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Yaoundé - 24 avril 2024 -
Finance

Danpullo tente un hold-up sur 243 milliards de FCFA au Cameroun, en représailles à ses déboires en Afrique du Sud

Danpullo tente un hold-up sur 243 milliards de FCFA au Cameroun, en représailles à ses déboires en Afrique du Sud

(Investir au Cameroun) - Depuis plus de deux ans, les biens immobiliers du milliardaire camerounais dans le pays de Nelson Mandela sont saisis et vendus par sa banque. La First National Bank (FNB) explique que son client n’est plus à mesure de rembourser ses dettes depuis 2019. Ce que réfute Baba Danpullo qui parle de « spoliation » et « de croisade raciste » contre son groupe Bestinver. En réaction, ce dernier a obtenu d’un juge camerounais, la saisie des comptes bancaires de MTN, Broadband Telecom de Collins Mukete, Mobile Money Corporation et Chococam, en vue de recouvrer ce qu’il considère comme des « sommes malicieusement distraites » par son banquier. De son côté, MTN accuse Baba Danpullo de « tentative d’extorsion de fonds ». Enquête sur cette bataille où le droit est la première victime.

En Afrique du Sud, les affaires du milliardaire camerounais Ahmadou Baba Danpullo sont au plus mal. Toutes les quatre filiales de sa holding Bestinver, spécialisées dans l’investissement dans l’immobilier, ont été placées en procédure de sauvetage le 19 juin 2020 « en vertu de l’article 130 de la loi sur l'insolvabilité ». Il s’agit de Joburg Skyscraper, Bestinverprop, Leopont et Bestinver Company South Africa. La dernière entreprise a même été mise en liquidation judiciaire quelques mois après. 

« Les entreprises (de Bestinver) ont eu du temps pour trouver d'autres financements, afin de rembourser leurs dettes. En décembre 2019, elles n'étaient pas en mesure de le faire. »

De sources judiciaires sud-africaines, cette décision a été prise après des demandes de liquidation des sociétés de Bestinver formulées par FirstRand Bank Limited (FRBL), maison-mère de First National Bank (FNB). Cette holding financière, parmi les plus puissantes d’Afrique du Sud, réclamait alors au groupe la somme de 507 millions de rands (plus de 20 milliards de FCFA).

D’abord provisoire, le redressement judiciaire devient définitif le 26 octobre 2020, et les administrateurs provisoires sont nommés. Le 18 décembre de la même année, une assemblée des créanciers et actionnaires de la holding du milliardaire camerounais adopte le plan de redressement de trois de ses filiales (Joburg Skyscraper, Bestinverprop, Leopont). Ce document prévoit notamment la vente des actifs de ces entreprises pour apurer le passif.  

Aux sources du problème

Bestinver, qui conteste cette procédure, reconnait néanmoins avoir contracté, entre 2013 et 2017, des prêts auprès de First National Bank (FNB). Il affirme aussi avoir « respecté l’échéancier d’amortissement convenu entre les parties au rythme mensuel de 10 millions de rands (400 millions de FCFA) jusqu’au mois d’avril 2020 ». Mais, alors que le groupe disposait encore de plusieurs années pour honorer ses engagements, affirment ses conseils, FNB a exigé le remboursement « intégral, anticipé et immédiat » du solde des différentes lignes de crédit d’un montant de 550 millions de rands (22 milliards de FCFA), et la signature des documents complémentaires de garantie sans rapport avec le dossier de prêt initial.

Au tribunal, FirstRand Bank Limited raconte une tout autre histoire. On apprend que sa filiale FNB et son client Bestinver sont en tension depuis au moins 2019. Au point où, en mars de cette année-là, la banque, disant craindre que ses créances ne soient compromises, décide d’« accélérer » leur recouvrement. Mais en vain, si l’on en croit une ordonnance (page 17 paragraphe 38) rendue le 24 mars 2021. « Les entreprises (de Bestinver) ont eu du temps pour trouver d'autres financements, afin de rembourser leurs dettes. En décembre 2019, elles n'étaient pas en mesure de le faire. Le 19 décembre 2019, FirstRand Bank a introduit quatre demandes de liquidation distinctes. Celles-ci ont fait l'objet d'une opposition. », lit-on dans le document.

Bestinver accuse FNB d’avoir « spolié la totalité des actifs immobiliers appartenant aux sociétés requérantes (Bestinver Company Joburg Skyscraper, Bestinverprop et Bestinver Cameroun), aidé en cela par ses complices à savoir les liquidateurs désignés et la justice sud-africaine »

Avec la survenu de la pandémie de coronavirus, les choses se dégradent davantage, notamment du fait des confinements imposés par l’Etat sud-africain. Les entreprises de Bestinver sont donc placées en redressement judiciaire malgré les protestations du camp Danpullo. Evoquant souvent des vices de forme, des juges sud-africains rejettent les recours visant à s’opposer à la vente des biens immobiliers appartenant au groupe. A titre d’exemple, dans une décision rendue le 22 septembre 2021, le juge argue du défaut de qualité de la requérante, Yasmina Baba. Selon son ordonnance, la fille du milliardaire camerounais s’est d’abord présentée comme actionnaire avant de reconnaitre que son lien avec Bestinver n’est que « familial ».

Dans une requête adressée le 31 août 2022 au président du tribunal de première instance de Bonanjo à Douala, Quentin Djapite Ndoumbe, Bestinver accuse FNB d’avoir « spolié la totalité des actifs immobiliers appartenant aux sociétés requérantes (Bestinver Company Joburg Skyscraper, Bestinverprop et Bestinver Cameroun), aidé en cela par ses complices à savoir les liquidateurs désignés et la justice sud-africaine ». Le groupe contrôlé par Baba Danpullo chiffre ces actifs à 5 milliards de rands (200 milliards de FCFA). En plus de cette somme, il réclame le paiement de 23,8 milliards de FCFA au titre de « loyers indument perçu (21,6 milliards) » et de « frais de recouvrement (2,2 milliards) », de même que des intérêts au taux de 3,25%.  

Représailles contre MTN Cameroun et Chococam 

Les sociétés requérantes, qui se disent victime d’« un complot » et d’« une croisade raciste », estiment que le seul recours dont ils disposent pour le recouvrement de cet argent, « est de faire pratiquer une saisie conservatoire des créances sur les comptes des sociétés MTN Cameroon et Chococam (…) ou toute somme détenue par des tiers pour le compte desdites sociétés ». Pour justifier le choix de leurs cibles, ces dernières expliquent que MTN Cameroon et Chococam sont des filiales de la société Public Investment Corporate (PIC), qui est elle-même actionnaire de FirstRand Bank.

Les requérantes demandent alors à Quentin Djapite Ndoumbe d’autoriser cette saisie. Le même jour, le juge camerounais accède à cette requête. Depuis, il a signé plusieurs ordonnances qui permettent la saisie des comptes bancaires de MTN Cameroon, Broadband Telecom de Collins Mukete, président du conseil d’administration de MTN Cameroon, Mobile Money Corporation et Chococam, pour garantir le recouvrement des fonds variant de 223,8 milliards à 243 milliards de FCFA. Ce dernier motive sa décision par les articles 28, 54 et suivants de l’Acte uniforme Ohada portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution.

Me Roland Abeng : « Si un iota de cette histoire est vrai, la justice camerounaise, l'administration et les avocats de l'homme d'affaires sont autant à blâmer que l'homme lui-même ».

Mais les entreprises ciblées contestent. Dans un communiqué publié le 25 octobre 2022, MTN parle de « saisies abusives et manifestement injustifiées ». « Nous y voyons un dangereux précédent pour le climat des affaires au Cameroun », commente la direction de l’opérateur de téléphonie mobile. Des avocats d’affaires sont du même avis. « Si un iota de cette histoire est vrai, la justice camerounaise, l'administration et les avocats de l'homme d'affaires sont autant à blâmer que l'homme lui-même », a par exemple réagi Me Roland Abeng.

Pour les experts en droit contactés, les conditions prévues pour une saisie conservatoire des créances ne sont pas réunies. Chez MTN Cameroon, on pointe notamment une absence de créances. « Nous ne devons rien et ne sommes même pas en relation d’affaires avec Bestinver », affirme une source dans le top management. L’opérateur de téléphonie mobile soutient aussi que PIC n’est même pas son actionnaire, contrairement à ce qui est dit dans la requête de Bestinver. En effet, l’actionnariat de MTN Cameroon est constitué de MTN International (Mauritius) et Broadband Telecom. PIC contrôle plutôt 23% de l’actionnariat de MTN Group Limited, la holding de tête du groupe MTN.

« En admettant même que MTN Cameroon comporte dans son actionnariat la Public Investment Corporation, cette donnée ne saurait avoir pour conséquence de la transformer en débitrice des sociétés Bestinver. Il est enseigné dans toutes les facultés de droit que le patrimoine de l’actionnaire d’une société anonyme, et celui de la société sont distincts, et ne doivent pas être confondus », charge la compagnie de téléphonie mobile dans un mémo envoyé aux autorités camerounaises. Dans ce document, elle accuse aussi Baba Danpullo de « tentative d’extorsion de fonds ».

Stratégie d’asphyxie ? 

La situation est la même pour Chococam. Dans ce cas, PIC détient en fait 13,4% de Tiger Brands, la maison-mère du chocolatier basé au Cameroun. Dans la même situation, Ecobank Cameroun (Ecobank Transnational Incorporated, sa maison mère, est détenue à 14,9% par PIC) a été épargnée par les saisies. On observe aussi que Broadband Telecom qui contrôle le tiers du capital de MTN Cameroon a vu ses comptes saisis, alors que la Société nationale d’investissement (SNI), qui possède le quart du capital de Chococam, n’est pas concernée. Ce qui interroge sur la logique derrière ces saisies.

« Nous avons fait part de notre surprise et de notre grave préoccupation à toutes les autorités compétentes, sollicitant leur soutien pour que ces saisies conservatoires abusives soient levées », indique MTN dans son communiqué. Mais pour l’instant, les multiples référés d’heure à heure que la compagnie a introduits auprès du président du tribunal de première instance de Bonanjo, pour obtenir la levée de ces saisies conservatoires, vont de renvoi en renvoi depuis au moins deux mois.

« Ils veulent manifestement gagner du temps. Étrangler MTN et Chococam pour obliger l’Afrique du Sud à négocier. Mais, négocier quoi dans ce qui est clairement un différend commercial ? », peste un cadre d’une de ces sociétés.

Selon les ordonnances du juge, pour maintenir les saisies conservatoires, les entreprises de Baba Danpullo devaient dans le mois qui suit lesdites saisies, « introduire une procédure ou accomplir les formalités nécessaires à l’obtention d’un titre exécutoire ». On ignore pour l’instant si cela a été fait. Toujours est-il que les comptes de MTN Cameroon, Broadband Telecom, Mobile Money Corporation et Chococam restent bloqués.

Dans ce contexte de dynamique positive, MTN a déclaré un bénéfice avant impôts et amortissements de 123 milliards de FCFA au Cameroun, soit 37,8 % de son chiffre d'affaires, marquant ainsi sa meilleure marge depuis 2019. Malgré ces performances positives, de nombreux défis restent à relever. Le marché de l'internet est sujet à des revendications constantes des consommateurs, qui expriment leur mécontentement quant à la qualité du service offert par tous les opérateurs. En outre, l'entreprise sud-africaine est toujours confrontée à une procédure judiciaire au cours de laquelle ses comptes bancaires ont été saisis du fait d’un conflit entre la holding de Baba Danpullo, Bestinver, et son banquier sud-africain First National Bank (FNB), filiale de FirstRand Bank (FRB), dont l'un des actionnaires (Public Investment Corporation) est aussi actionnaire de MTN Group Limited, la holding de tête du groupe MTN. 

Aboudi Ottou

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