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Yaoundé - 30 mars 2023 -
Finance

Les MC2, microbanques parrainées par le milliardaire Paul K. Fokam, dans la tourmente au Cameroun

Les MC2, microbanques parrainées par le milliardaire Paul K. Fokam, dans la tourmente au Cameroun

(Investir au Cameroun) - Dans une lettre adressée au Premier ministre camerounais, Paul K. Fokam annonce le retrait de son parrainage aux Mutuelles communautaires de croissance (MC2), microbanques (125 aujourd’hui) éparpillées à travers le pays. Une décision pour le moins surprenante, quand on sait que ce parrainage, qui s’est jusqu’ici exercé à travers Afriland First Bank, propriété du milliardaire camerounais, n’était pas sans contrepartie.

En effet, même si Paul K. Fokam préfère mettre en exergue le rôle de ce réseau de microfinances dans la lutte contre la pauvreté, il n’en demeure pas moins qu’il a aussi contribué à faire d’Afriland First Bank, l’une des banques les plus puissantes du Cameroun. Depuis la création de la première unité en 1992, chaque MC2 a l’obligation de domicilier ses dépôts dans cette banque. Une disposition qui a fait de ces établissements de microfinance (EMF), un instrument de mobilisation de l’épargne pour Afriland First Bank, même si cet apport est aujourd’hui marginal. Selon des sources à Afriland First Bank, en 2018, l’épargne mobilisée par les MC2 a représenté moins de 6% des dépôts de la banque, chiffrés à 843 milliards de FCFA.

Dans son courrier au gouvernement camerounais, dont le quotidien Le Jour a publié des extraits en début de semaine, le milliardaire explique sa décision. À l’en croire, ce sont les nouveaux textes de la Cemac portant régulation des EMF en zone Cemac qui auraient motivé son désengagement. À quelques mois de la fin des deux ans (1er janvier 2018 – 1er janvier 2020) accordés aux EMF pour se conformer à la nouvelle règlementation, Paul K. Fokam estime que ces textes l’excluent de facto du parrainage des MC2 et menacent leur modèle économique.

Investir au Cameroun a rencontré Évariste Takam. Ce Camerounais est le secrétaire exécutif de Appropriate Development for Africa Foundation (Adaf), association qui accompagne les MC2 dans leur développement. Il explique en quoi la nouvelle règlementation des EMF menace l’existence de ces microbanques.

Évariste Takam : « Ce règlement met en péril la survie d’un réseau que les populations camerounaises ont mis plus de 25 ans à bâtir »

M Evariste Takam SE dADAF bn

Investir au Cameroun : Vous postulez que les MC2 sont des microfinances particulières. Présentez-nous la spécificité de leur modèle économique.

Évariste Takam : D’abord leur ancrage culturel et identitaire : il s’agit des microbanques créées et gérées par les populations d’une communauté, dans le respect de leurs us et coutumes. Ensuite, leur souplesse et leur disposition à l’innovation : les différends sont réglés par un organe que vous ne trouverez pas dans d’autres les Établissements de microfinances (EMF), à savoir le conseil des sages. Mais par-dessus tout, la philosophie qui anime le modèle en fait un outil spécifique : la Victoire sur la Pauvreté (VP) est possible si les Moyens (M) et les Compétences (C) de la Communauté (C) sont mis ensemble (VP = M x C x C = MC²). Cette formule a été mise au point par le Dr Paul Fokam. Conséquence immédiate de cette conception : l’épargne a une place fondamentale, les populations apprennent que leur avenir dépend d’eux et d’eux seuls, et non de l’aide internationale.

Vous comprenez pourquoi les microbanques MC2 sont localisées dans les zones rurales et ciblent les couches les plus défavorisées. Nous comptons à ce jour 125 unités fonctionnelles sur l’étendue du territoire camerounais. Le modèle s’est également exporté dans d’autres pays du continent à l’instar du Libéria (8 unités fonctionnelles), de la République de Guinée (61 unités fonctionnelles), de la République démocratique du Congo (2 projets en cours) et de la Côte d’Ivoire (1 projet en cours).

IC : Pour qu’on appréhende bien le poids des MC2 au Cameroun, peut-on avoir le volume moyen de dépôt collecté et de crédit accordé par an sur ces cinq dernières années ?

ET : Le volume des dépôts au 31 mai 2019 se chiffre à 50 milliards de FCFA, soit une augmentation moyenne de 2,3 milliards par an au cours des cinq dernières années. Le cumul des crédits accordés depuis 1992 s’élève à 250 milliards de FCFA à la même date, soit une augmentation moyenne annuelle de 19,9 milliards au cours des cinq dernières années. En tout, 3 millions de personnes sont sorties de la pauvreté grâce au modèle en 27 ans.

IC : En quoi la nouvelle réglementation des microfinances en zone Cemac menace-t-elle ce modèle économique ?

ET : Je tiens à signaler d’entrée de jeu que cette réglementation n’est pas totalement négative. Le règlement Cobac (gendarme bancaire de la Cemac) -EMF R2017/04- relatif au gouvernement d’entreprise dans les EMF par exemple consacre une organisation plus claire des organes sociaux en terme notamment de composition, de mission et de séparation des tâches. Cependant, parmi les nombreuses modifications apportées par ce nouveau texte, deux principalement constituent une véritable menace pour la survie de notre modèle à savoir l’obligation des EMF de première catégorie à exercer leurs activités exclusivement à l’intérieur d’un réseau et l’obligation à se constituer exclusivement sous la forme de société coopérative avec conseil d’administration.

IC : Qu’est-ce que cela implique concrètement ?

ET : Cela porte atteinte au fondement du modèle MC² qui est basé sur la prise de conscience de ce que l’homme est seul comptable de sa destinée. En s’alignant sur l’organe faitier, ce principe est violé, car c’est l’organe faitier qui prend désormais toutes les décisions. En outre, chaque MC2 est gérée par la communauté concernée dans le strict respect de ses us et coutumes locaux. Avec la nouvelle réglementation, les MC² sont désormais liées par les lois internationales, les détachant ainsi de leurs coutumes. En somme, l’obligation par les nouveaux textes d’appartenir à un réseau avant même d’exister viole tous ces principes et rend le modèle MC² inopérant.

IC : Vous affirmez, par ailleurs, que le Règlement 01/17/CEMAC/UMAC/COBAC pose un problème de légalité constitutionnelle au Cameroun…

ET : Dans son préambule, la Constitution camerounaise consacre la liberté d’association, laquelle se décompose en liberté d’adhérer à une association ou pas, liberté du choix du type d’association, liberté de quitter l’association.

Malheureusement, en ses articles 27 et 33, ce règlement oblige les établissements de microfinance de première catégorie à exercer leur activité « exclusivement au sein d’un réseau ». Il s’agit là d’une violation des dispositions de la Constitution du Cameroun qui garantit entre autres : « la liberté de communication, la liberté d’expression, la liberté de presse, la liberté de réunion, la liberté d’association, la liberté syndicale ».

IC : Ces libertés disparaissent-elles avec l’organisation sous forme de structure faîtière ?

ET : Les promoteurs et propriétaires des organes faîtiers deviennent ipso facto les maîtres des populations locales dont l’aspiration légitime était simplement de prendre leur destin en main en créant leur propre microstructure financière autonome dans leur localité, en assumant les risques et les profits. Pourtant, la Constitution du Cameroun a, à la base, pris soin d’interdire ce genre d’asservissement en inscrivant dans le marbre la liberté d’association. Si toute loi internationale était autorisée à violer la Constitution, alors celle-ci ne pourrait garantir les droits des citoyens et deviendrait une coquille vide.

Ce règlement remet en cause le fondement du modèle MC², et met en péril la survie d’un réseau que les populations camerounaises ont mis plus de 25 ans à bâtir pièce par pièce, et qui constitue aujourd’hui le premier socle d’un développement endogène, un instrument de fierté pour les populations concernées et pour notre pays. Ce type d’organisation garantit la résistance aux chocs multiples exogènes et endogènes.

IC : Dans la lettre adressée au Premier ministre par le parrain du réseau, Dr Paul K. Fokam, et dont Le Jour a publié des extraits, ce dernier a également soutenu que la nouvelle réglementation expose les structures du modèle MC² au risque systémique. Comment ce risque s’exprime-t-il ?

ET : Dans la conception initiale du modèle, la faillite d’une unité dans une localité donnée n’impactait pas directement une autre unité située dans une autre localité. En appliquant cette réglementation, les fautes de gestion de chaque unité impactent automatiquement les autres unités. Pire, la faillite de l’organe faitier ou d’un grand nombre d’EMF de grande importance dans le réseau entraine la disparition en bloc de toutes les unités affiliées.

IC : Actuellement, quelle est la spécificité du fonctionnement d’une MC2 ?

ET : La MC² est conçue pour être gérée par les populations de sa zone d’implantation. Les règles de gestion puisent leurs sources dans les us et coutumes locales. Les règles de décision sont basées sur le principe « une personne, une voix » avec la décision prise à la majorité des voix exprimées. Le règlement des litiges est assuré par un conseil des sages composé de dignitaires et détenteurs de l’autorité traditionnelle ou religieuse. Cette voie de résolution des conflits, s’agissant des populations qui généralement ne savent ni lire ni écrire, est sanctuarisée par les statuts. Ce choix permet ainsi d’éviter les procédures classiques longues, coûteuses et complexes et in fine, inadaptées.

IC : Ce mode de fonctionnement est-il également en danger ?

ET : Bien entendu ! Les nouveaux règlements soumettent désormais les MC² à la règlementation Ohada. Désormais, pour régler un litige, elles devront recourir aux tribunaux internationaux et ensuite aller à Abidjan pour la décision finale.

Désormais, les membres de la communauté seront exclus du processus de décision essentiel dans leur communauté. Les règles de fonctionnement, de prise de garantie, de règlement des litiges seront du ressort soit de l’organe faitier, soit de la communauté internationale.

IC : Parlant de l’organisation, une place importante est également accordée à ce que vous appelez les structures d’appui : Afriland First Bank et Adaf, dont vous êtes le secrétaire exécutif. Avec la nouvelle règlementation, que deviennent-elles ?

ET : Dans le modèle MC², les structures d’appui (Afriland First Bank et Adaf) jouent un rôle capital. Elles permettent d’assurer un savant dosage entre les us et coutumes de la communauté d’une part et, d’autre part, les principes et techniques de gestion moderne, garantissant ainsi la pérennité et l’intégration de la MC² à son environnement. Elles permettent ensuite d’assurer une assistance technique multiforme, tant au niveau de la création, du conseil régulier en gestion que de la mise à disposition des produits de recherche-action du parrain. Elles garantissent enfin la crédibilité et la pérennité des MC² aux yeux du public, ainsi que leur connexion au système financier international. En excluant ces structures d’appui, la nouvelle réglementation prive ipso facto les structures du modèle MC² de tous ces avantages, sans solutions de remplacement, les exposant ainsi à la merci de tout prédateur et les vouant au suicide individuel et collectif.

IC : Mais à en croire des sources citées par le journal Eco Matin, Paul K. Fokam se retire des MC² parce qu’il refuserait de se soumettre à l’obligation de transparence. Que répondez-vous à cela ?

ET : Je me pose des questions. Transparence à la gestion ? Le Dr Fokam n’est pas concerné. Transparence par rapport à la comptabilité ? Voir avec les commissaires aux comptes des MC². Transparence par rapport aux mutuelles ? Ce sont les membres qui gèrent leurs mutuelles. Transparence par rapport au régulateur ? De quelle transparence parle-t-on ? Le mot transparence est un mot global qui ne veut rien dire.

IC : Dans son courrier au Premier ministre, Paul K. Fokam demande au gouvernement de prendre en main les MC2. Mais cela résoudra-t-il le problème créé par la nouvelle réglementation ?

ET : Dans un pays, c’est l’État qui est en charge de la lutte contre la pauvreté. Toute structure qui intervient en ce sens vient en soutien à l’État. Donc seul l’État est capable de résoudre ce problème.

Entretien avec Aboudi Ottou

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