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Yaoundé - 18 avril 2024 -
Gestion publique

Alain Symphorien Ndzana Biloa : « Il faut impérativement un système fiscal international de troisième génération »

Alain Symphorien Ndzana Biloa : « Il faut impérativement un système fiscal international de troisième génération »

(Investir au Cameroun) - Des appels se multiplient à travers le monde pour une forme de la fiscalité internationale des entreprises. En mars dernier, le Fonds monétaire international (FMI) s’est associé à cette dynamique. Pour justifier sa démarche, la directrice générale du FMI, Christine Lagarde, pointe l’iniquité du système fiscale internationale. Cette situation, aggravée par « la montée de modèles commerciaux très rentables qui s’appuient sur les avancées des technologies numériques », est, selon la Française, « particulièrement dommageable pour les pays à faible revenu », dont plusieurs sont africains.

« Elle les prive de recettes dont ils ont pourtant besoin pour accélérer leur croissance économique, réduire la pauvreté et atteindre leurs objectifs de développement durable pour 2030 », explique Christine Lagarde. Selon un rapport du FMI, datant de mars 2019, les pays non membres de l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) perdent environ 200 milliards de dollars de recettes par an, soit quelque 1,3 % du PIB, à cause des entreprises qui transfèrent leurs bénéfices vers des paradis fiscaux.

Le fiscaliste camerounais Alain Symphorien Ndzana Biloa est l’auteur de « Sauvons l’impôt pour préserver l’État », ouvrage paru en janvier 2018 aux éditions du Panthéon à Paris. Il analyse l’impact que peut avoir l’adhésion du FMI au plaidoyer de réforme du système fiscal international.

Investir au Cameroun : Dans une récente communication, la directrice générale du FMI reprend, point par point, les idées défendues dans votre dernier ouvrage « Sauvons l’impôt pour préserver l’État », au sujet de la nécessité de réformer le système fiscal international. Diriez-vous que le plaidoyer avance ?

Alain Symphorien Ndzana Biloa : Le moins qu’on puisse dire est que les lignes semblent bouger. L’ONU est également désormais d’avis que le monde n’a pas d’avenir avec le système fiscal international actuel. Dans la quatrième édition de son rapport sur le financement du développement durable publié le 4 avril 2019, la Task Force inter agences des Nations Unies, qui regroupe plus de 60 d’entre elles (dont le FMI), arrive à la même conclusion. Elle relève que les recettes fiscales sont insuffisantes et les règles, en la matière, inadéquates compte tenu de la mondialisation et de la numérisation de l’économie. Elle conclut que sans réforme des systèmes financiers nationaux et internationaux, la communauté internationale ne parviendra pas à atteindre les objectifs de l’Agenda 2030. En matière de fiscalité, elle propose aux États de relever les défis liés aux systèmes fiscaux qui les empêchent de mobiliser des ressources suffisantes dans une économie mondiale de plus en plus numérisée. Ce déclic annonce l’imminence d’une accélération du processus de réforme de ce système fiscal international qui, de l’avis de beaucoup d’experts, ne permettra pas aux États de financer du développement durable.

IC : Mais en Afrique et particulièrement en Afrique centrale, où la mobilisation des recettes fiscales est plus que vitale, la question ne retient pas l’attention des autorités. Comment expliquer cette indifférence ?

ASNB : Je pense qu’il s’agit plus d’une indolence que d’une indifférence. Et comme je l’indique dans l’ouvrage Sauvons l’impôt pour préserver l’Etat, les problèmes de politique intérieure auxquels beaucoup de pays africains sont confrontés freinent souvent leur épanouissement international. Si ces pays trainent les pieds dans la mise en place des organes de coopération économique cohérents tant au niveau régional que sous régional, c’est qu’ils ne comprennent pas encore les enjeux. Ce n’est pas au niveau mondial qu’ils vont être offensifs et proactifs sur la question. J’ai justement publié cette réflexion en janvier 2018 pour appeler l’attention des gouvernements africains sur ces enjeux. Je n’avais pas l’impression d’avoir été compris jusque-là. Je le serai peut-être désormais.

IC : Comment pourrait s’organiser l’Afrique pour faire avancer cette cause ?

ASNB : Comme d’autres pays moins avancés, les pays africains sont les principales victimes de l’érosion du pouvoir fiscal de l’État. Ils devraient donc être en première ligne pour faire avancer cette cause. Ils doivent prioritairement renforcer la coopération économique régionale afin de parler d’une même voix. Les économies africaines souffrent des faiblesses structurelles qui les mettent en position de « hors-jeu » dans la compétition économique mondiale actuelle animée par des concurrences de toutes sortes, dont la concurrence fiscale. L’Afrique est trop fragmentée et surtout moins intégrée pour faire face à la concurrence des autres régions du monde. L’amélioration de l’infrastructure régionale et l’harmonisation des politiques, programmes et instruments de coopération devraient permettre le renforcement et la diversification des économies du continent. La fiscalité africaine devrait en sortir consolidée. Maintenant qu’un consensus en faveur de la réforme du système fiscal international semble se sédimenter aux Nations Unies, ils doivent également faire bloc avec leurs congénères des autres régions du monde et peser de tout leur poids pour susciter l’accélération du processus de cette réforme. C’est leur survie qui est en jeu.

IC : Avec cette position de la directrice générale du FMI, pensez-vous que votre rêve sera réalisé un jour ?

ASNB : L’espoir est désormais permis même si rien n’est acquis. Mon combat continue. Il faut impérativement un système fiscal international de troisième génération pour financer le développement durable. C’est d’ailleurs le centre d’intérêt de ma réflexion en cours. Rendez-vous avant la fin du premier semestre 2020.

Entretien avec Aboudi Ottou 

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