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Yaoundé - 19 avril 2024 -
Investissement

Recettes fiscales, concurrence déloyale… : les enjeux de la suspension des activités du Russe Yango au Cameroun

Recettes fiscales, concurrence déloyale… : les enjeux de la suspension des activités du Russe Yango au Cameroun

(Investir au Cameroun) - Dans un communiqué rendu public le 6 février 2023, le ministre camerounais des Transports, Jean Ernest Ngalle Bibehe, annonce « qu’à l’issue d’une mise en demeure adressée aux opérateurs de la plateforme numérique Yango et des réunions d’évaluation tenues au ministère des Transports,  les activités de transport public de personnes opérées via la plateforme Yango sont suspendues jusqu’à leur mise aux normes, conformément aux dispositions de la loi (…) du 23 juillet 2001 régissant les professions de transporteur routier et d’auxiliaires de transports routiers».

En effet, en son article 13, la loi évoquée par le ministre Ngalle Bibehe indique qu’« est considéré comme infraction à la présente loi et aux textes pris pour son application : l’exercice de la profession de transporteur routier ou d’auxiliaire des transports routiers sans licence ou autorisation préalables ; l’exploitation d’une licence ou d’une autorisation louée, prêtée, cédée ou transférée ». La même loi, en son article 2, définit le transporteur routier comme « toute personne physique ou morale, qui effectue le transport routier de personnes ou de marchandises à but lucratif, avec un ou plusieurs véhicules dont elle est propriétaire ou locataire ».

Au regard de cette disposition légale, vieille de 22 ans, et prise au moment où les opérateurs du transport de personnes via les plateformes mobiles n’existaient pas dans l’écosystème des transports au Cameroun, Yango ne saurait être considéré comme professionnel du transport routier à part entière, ni même comme auxiliaire du transport routier. En effet, au sens de la loi susmentionnée, est considéré comme auxiliaire des transports routiers, « toute personne physique ou morale qui exerce une activité annexe et/ou connexe concourant à la réalisation des opérations de transports routiers ; il s’agit notamment de la gestion des terminaux des transports routiers, de la gestion des opérations de chargement et de déchargement dans les terminaux des transports routiers, des déménagements et messageries de petits colis et des opérations de groupage et de dégroupage des marchandises ».

Instauration d’une licence spéciale

Cette réticence de Yango à être considéré comme professionnel du transport routier au sens de la loi du 23 juillet 2001 transparaît d’ailleurs dans une réclame subtilement glissée dans la presse le 19 septembre 2022, c’est-à-dire au lendemain de la mise en demeure adressée à Yango le 2 septembre 2022 par le ministre des Transports. « Yango est un service numérique. Nous ne possédons ni ne louons un seul taxi. Au lieu de cela, nous nous associons à des sociétés de transport indépendantes locales pour aider les entreprises camerounaises à se développer. Yango leur permet de renouveler leur flotte pour assurer des trajets plus confortables et encore plus sûrs aux Camerounais. Nous maintenons un dialogue constant avec toutes les autorités compétentes et soutenons leur vision d’un secteur des transports plus organisé et modernisé », précise la plateforme contrôlée par le russe Yandex.

Sauf que, suite à la mise en demeure dans laquelle le ministre des Transports enjoint Yango « de constituer un siège, une succursale, un bureau, une représentation ou une joint-venture au Cameroun » ; de se faire immatriculer auprès du fisc, dans le registre de commerce et de crédit immobilier ; de faire une déclaration préalable contre récépissé à l’administration en charge des communications électroniques ; d’ouvrir un compte dans un établissement de crédit ou dans un bureau de chèques postaux ; d’admettre sur sa plateforme que des transporteurs en règle… ; la réglementation autour de la profession de transporteur routier va évoluer dans le pays. Cette évolution, qui tient désormais compte de la présence dans l’écosystème des transports, de professionnels opérant via des plateformes numériques comme Yango, est consacrée par un décret signé le 10 octobre 2022 par le Premier ministre, Joseph Dion Nguté.

En effet, dans ce nouveau décret d’application de la loi de 2001, qui actualise « les conditions d’accès aux professions de transporteurs routiers et d’auxiliaire des transports routiers », il est institué « la licence spéciale S10 pour le service de transport par taxi de personnes opéré via les plateformes numériques », ainsi que « l’autorisation d’exercice du service de transport par taxi de personnes opéré via les plateformes numériques ». De plus, apprend-on du ministère des Transports, les deux documents susmentionnés, qui sont des préalables à l’exercice de la profession de transporteur routier et autres auxiliaires opérant via les plateformes numériques, sont exclusivement délivrés par les services centraux du ministère. Alors que certaines licences, elles, peuvent être délivrées par les services déconcentrés de ce département ministériel.

Enjeux

En dehors de la paperasse à fournir, le requérant devra verser une redevance de 15 000 FCFA pour la licence S10, et 200 000 FCFA pour l’obtention de l’autorisation d’exercer la profession de transporteur routier opérant via les plateformes numériques. Au regard de la modicité des frais à débourser, l’enjeu autour de la création de la licence S10 est de pouvoir fiscaliser des opérateurs comme Yango, dont l’activité est en plein essor en Afrique. En effet, avant de solliciter une licence de transport au Cameroun, il faut d’abord être une entreprise en règle notamment avec le fisc. 

Selon les autorités camerounaises, « la dématérialisation de plus en plus croissante des transactions économiques conduit à des pertes de recettes fiscales difficiles à chiffrer ». En Côte d’Ivoire, par exemple, où Yango, Uber et Taxi Jet ont également été accusés d’exercice illégal de la profession de transporteur routier, et par conséquent de passer à travers des mailles du fisc, ces opérateurs auraient fait perdre environ 10 milliards de FCFA au fisc ivoirien en 2021, selon les estimations officielles.

De même, ajoute le gouvernement camerounais, la non-imposition des e-commerçants constitue une distorsion de concurrence préjudiciable aux entreprises traditionnelles. En effet, alors beaucoup d’usagers apprécient la qualité de service offert par les véhicules Yango, pour les syndicats des transporteurs urbains, les transporteurs affiliés à cette plateforme sont des « clandestins » qui leur mènent une concurrence déloyale. Comme mesures d’accompagnement à la hausse des prix des carburants, effective depuis le 1er février 2023, ils demandent notamment au gouvernement de mettre fin au transport clandestin.

Régularisation en cours

Depuis la suspension de ses activités le 6 février 2023, même si plusieurs habitants de Yaoundé soutiennent avoir encore pu effectuer des courses via Yango jusqu’à ce 9 février 2023, les responsables de la plateforme au Cameroun n’ont pas encore réagi officiellement. Mais, de source autorisée, en interne, l’on considère la sortie du ministre Ngalle Bibehe comme une invitation à accélérer le processus de normalisation de la situation de Yango, qui est enclenché depuis un moment. En d’autres termes, Yango s’active à se conformer à la réglementation en vigueur au Cameroun, ce qui devrait ensuite conduire à la levée de la suspension de ses activités récemment prononcée par le gouvernement.

Il s’agit plutôt d’une mauvaise nouvelle pour les transporteurs urbains (taxis), dont certains ont dû jubiler à l’annonce de la suspension des activités de Yango. En effet, comme ce fut déjà le cas en Côte d’Ivoire, dès l’arrivée de cet opérateur au Cameroun, les syndicats de taximen n’ont pas manqué de dénoncer une concurrence déloyale, considérant Yango comme un transporteur clandestin causant d’importants manque-à-gagner aux professionnels reconnus du secteur. Une perception aux antipodes de celle des populations, pour lesquelles Yango, grâce à la sécurité (tracking des chauffeurs et des véhicules sur l’itinéraire) et le confort qu’il procure, est venu plutôt révolutionner le transport urbain au Cameroun. En dépit des tarifs jugés parfois exorbitants à certaines périodes de la journée, eu égard à la densité du trafic sur les routes.

Brice R. Mbodiam   

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