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Yaoundé - 25 avril 2024 -
Mines

Michel Bissou : « le Cameroun n’est pas véritablement un pays minier »

Michel Bissou : « le Cameroun n’est pas véritablement un pays minier »

(Investir au Cameroun) - Cet expert en gouvernance des industries extractives estime que malgré les avancées observées dans le secteur, il reste encore plusieurs leviers à actionner pour faire de la mine un pilier pour le développement de l’économie camerounaise.

Investira au Cameroun : Selon vous, comment se porte le secteur minier du Cameroun ?

Michel Bissou : Le secteur minier du Cameroun, si l’on se réfère au Code minier qui a été publié en 2016, si l’on se base sur le fait que les projets miniers industriels pour la plupart (fer de Mbalam, de Nkout et des Mamelles de Kribi, diamant de Mobilong, nickel-cobalt-manganèse de Lomié, etc.) ne sont pas encore effectifs, on peut dire que le secteur minier camerounais est un secteur qui est en perpétuel développement. Mais, le Cameroun n’est pas encore un pays minier tel que les autres pays comme l’Afrique du Sud, le Ghana, le Botswana, ceci même si l’on parle d’exploitation artisanale. A la vérité, le Cameroun est un pays qui est ambitieux, mais son secteur minier, pour le moment, est en pleine construction tant sur le plan juridique, institutionnel, politique que sur le plan même de l’activité minière.

On a une activité artisanale qui existe, mais son encadrement continue d’être amélioré du fait de la prise en compte des standards nouveaux qui existent dans le secteur minier et des défis que rencontre le secteur minier camerounais avec les questions liées à la décentralisation, à la protection de l’environnement, à l’impact de l’activité minière sur l’amélioration des conditions de vie des populations, à la gouvernance, bref aux questions consubstantielles à l’Emergence du Cameroun à l’horizon 2035. Donc, c’est un secteur qui est en construction permanente. Chaque acteur, le gouvernement, le parlement, les entreprises, la société civile, les artisans eux-mêmes, participent de la construction de ce secteur.

IC : Récemment, vous avez contribué à un rapport sur le partage des revenus dans le secteur minier au Cameroun. Quelles sont les grandes conclusions auxquelles vous êtes parvenus ?

MB : C'était une étude dans laquelle j’ai eu le plaisir de travailler avec messieurs Éric Bisil et Éric Etoga, pour le compte du Centre régional africain pour le développement endogène et communautaire (Cradec). Dans cette étude, il faut dire que lorsqu’on parle de partage des revenus issus du secteur minier au Cameroun, il faut prendre en compte deux réalités. La réalité des principes : quels sont les principes en matière de partage de bénéfices et revenus issus du secteur minier au Cameroun ? Mais également, quels sont les mécanismes en vue de l'effectivité du partage de ces bénéfices et revenus ?

De ce point de vue, dans le cadre de l’étude, nous nous sommes rendus compte que les principes existent et sont consacrés notamment dans le code minier de 2016. En effet, il est prévu le partage de la redevance minière (la taxe ad valorem et la taxe à l’extraction) ainsi que de la redevance superficiaire. Mais, sur le plan des mécanismes de ces partages, compte tenu du fait que nous sommes encore dans l’attente du décret d’application du code minier de 2016, nous sommes parvenus à la conclusion selon laquelle nous n’avons pas achevé le processus de définition des mécanismes de partages desdits bénéfices et revenus. C’est ça l’un des principaux résultats de cette étude.

IC : On parle surtout d’une fiscalité minière qui n’est pas adaptée aux attentes des populations riveraines de la mine. Quels sont selon vous, les points de fragilité de la fiscalité du secteur minier au Cameroun ?

MB : Je ne parlerai pas d’une fiscalité non adaptée. Je parlerai plutôt d’une fiscalité qui fait face à de nombreux défis. Pour preuve, lorsque vous regardez la loi de Finances de 2015, notamment sur le volet concernant le prélèvement de la taxe ad valorem sur les pierres précieuses, on passe d’un prélèvement de 8% dans le Code minier à 20 % dans cette loi de Finances. Lorsque vous prenez les métaux précieux, le prélèvement de cette taxe sur l’or est pratiquement passé de 4% dans le Code minier à 15% dans la loi de Finances. Des éléments de fiscalité comme ceux-là n'encouragent pas les investisseurs, non seulement à venir, mais aussi à déclarer leurs revenus réels pour ceux qui sont déjà installés. Il en est de même pour la loi de Finances de 2019 dans laquelle nous passions en termes de droits de douane, de 2% à 10%, notamment pour le diamant. Ces éléments de fiscalité concourent à ce qu'on ne puisse pas collecter des revenus de manière optimale et sont sources de flux financiers illicites.

De même, les opérateurs artisanaux qui sont sur le terrain ne peuvent pas être incités à venir déclarer leur production ou alors leurs revenus, parce qu’à un certain moment on se rend compte que la fiscalité minière au Cameroun n'est pas très stable, du fait notamment de son contenu qui varie d’une source à une autre. Dès lors, les attentes en bout de chaîne en termes de partage des revenus collectés, ne peuvent pas être satisfaites parce que dès le départ nous ne collectons pas les revenus réels que peut générer le secteur minier, en l’état actuel de son niveau de développement. C'est cela le grand défi que nous avons avec la fiscalité minière.

Du coup, le riverain qui est dans une localité voit bien qu'on exploite artisanalement de l'or chez lui, mais est surpris qu’il n’y ait pas d’impact dans la localité. C’est que dès le départ, les déclarations ne sont pas suffisamment fiables et réalistes, parce que les opérateurs et les artisans miniers se retrouvent en train de vouloir éviter la fiscalité. Tout cela encourage la circulation de l’or camerounais dans les circuits informels, à travers notamment la contrebande et l’exploitation de la porosité de nos frontières.

IC :  Mis à part le mode de collecte des revenus, il y a aussi un défi sur le mode de répartition de ces revenus-là. Aujourd'hui, qu'est ce qui fait problème dans la répartition des revenus qui ont été collectés des ressources minières.

MB : Au Cameroun, de quels revenus devons-nous parler ? Des revenus issus du secteur industriel ou de l’artisanat minier ? En marge des activités d’exploitation des carrières, l’exploitation minière industrielle au Cameroun n’est pas véritablement une réalité. Les projets d’exploitation du Nickel, du Cobalt, du diamant de Mobilong et du fer de Mbalam, pour ne citer que ceux-là, ne sont pas effectifs du fait de facteurs exogènes (chute du cours des matières premières, les crises financières et sanitaires successives depuis 2008, etc.) et endogènes. Nous pouvons donc nous rendre compte que le secteur minier industriel camerounais, n’a pas encore satisfait les attentes placées en lui au regard de l’ambition du Cameroun de développer ce secteur et de faire de lui un moteur de croissance de l’économie camerounaise.

Au niveau de l’activité artisanale, il a été observé ces dix dernières années l’amélioration progressive des missions du Cadre d’appui et de promotion de l’artisanat minier (Capam), afin de permettre au Cameroun d’avoir un meilleur encadrement et une meilleure canalisation de l’or issus des sites artisanaux. L’or collecté par le Capam fait principalement l’objet de stockage pour la constitution de la réserve d’or du Cameroun, étant entendu que l’or est une valeur refuge. A partir de ce moment, cela demande qu’on soit un tout petit peu réaliste en termes d’attentes du secteur minier camerounais.

Concernant le sous-secteur des carrières, il y a tout de même une parafiscalité locale qui s’est développée. Dans certaines communes, vous allez voir que lorsqu’un camion de sable, de gravier ou de pouzzolane sort, il y’a une quote-part qui est réservée à la commune et une autre qui est réservée aux communautés riveraines qui abritent le projet. Il s’agit là d’une parafiscalité locale qui s’est développée et qui a d’ailleurs catalysé les débats au sein de l’espace public ou alors de la scène politique camerounaise, en ce qui concerne notamment les compétences dévolues aux collectivités territoriales décentralisées en matière de gestion du secteur minier, en général, et du sous-secteur des carrières, en particulier.

Au regard de tout cela, la proposition que nous pouvons faire c’est d’être tout simplement dans l’attente des textes d’application du décret d’application du Code minier, mais également du décret d’application du Code général des Collectivités territoriales. A partir de ce moment, on aura une meilleure lecture de la répartition des compétences des uns et des autres et on pourra mieux débattre sur ce qui est attendu en termes de redistribution de ces revenus au niveau des collectivités territoriales décentralisées.

 IC : Quelles sont les options et les solutions dont dispose le Cameroun pour pouvoir résoudre ces problèmes ? Est-ce que les pistes comme le report des activités d'entreprise pays par pays, l’identification des propriétaires réels ou encore la publication des registres pourraient être des éléments de solution ? Est-ce qu'il s'agit là des solutions qui peuvent être un point de départ pour limiter la fuite des ressources et augmenter les capacités de partage des revenus miniers pour les populations ?

MB : La première piste vers laquelle il faut tendre c'est la signature et la publication du décret d'application du Code minier de 2016. C’est aujourd'hui une nécessité, c'est une urgence parce que plusieurs activités en dépendent. L’urgence de la publication du décret d’application de ce code tient d’autant plus que dans ce texte, il est prévu la mise en place d’un compte spécial de développement des capacités locales. Ce compte est un indicateur important du niveau de contribution du secteur minier au développement local, lorsqu’on parle de redistribution des revenus issus de ce secteur. Il faut bien que le décret d'application vienne préciser comment ce compte va fonctionner et comment il va être hébergé, bref qu’il vienne préciser les modalités d’application du principe prévu dans le Code minier.

A côté de ce compte, il y’a bien évidemment un Fonds de développement du secteur minier et un Fonds pour la réhabilitation et la restauration de l’environnement dans le secteur minier qui sont prévus. Le code minier de 2016 innove avec la prise en compte du principe de redistribution de la redevance superficiaire. Mais, là aussi il faudrait bien que le décret d’application vienne préciser comment on va redistribuer cette redevance superficiaire annuelle. Il en est de même de la taxe ad valorem pour ce qui est des substances minières et de la taxe à l’extraction pour ce qui est des substances de carrière.

La deuxième piste de solution que nous devons avoir c’est de tenir compte aujourd’hui du fait qu’il y’a une Société nationale des mines (Sonamines), qui a été créée par décret présidentiel en décembre 2020. La Sonamines va permettre, au regard de ses missions, de limiter les impacts négatifs dus à l’attente incessante des projets miniers industriels. C’est donc un projet nouveau sur lequel se fondent beaucoup d’attentes. Cependant, il faut comprendre que l’atteinte des objectifs de la Sonamines s’inscrit dans un processus qui nécessitera du temps et des moyens conséquents.

L’une des pistes de solution est l’amélioration de la coordination entre certains départements ministériels en charge des questions connexes à la mine, tant on sait que la gouvernance du secteur minier est transversale. Le cas de la divergence des taux de fiscalité minière dans le Code minier et dans la Loi de Finances justifie le besoin d’amélioration de cette coordination.

Parmi les solutions, il faut également prendre en compte l'accompagnement ou alors l'amélioration du suivi des initiatives internationales de gouvernance dans le secteur extractif auxquelles le Cameroun a adhéré. Je pense ici au Processus de Kimberley (PK), mais également à l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE). Ce sont des pistes qui peuvent permettre de mieux identifier les défis ou alors les goulots d’étranglement que nous rencontrons en matière de gouvernance du secteur des industries extractives.

Pour information, le suivi multipartite (gouvernement, parlement, entreprise, société civile) de la mise en œuvre des exigences de la Norme ITIE 2019, édition actuellement en vigueur, en plus du suivi de la collecte des revenus extractifs (revenu en nature et en numéraire, revenus issus du transport pétrolier, transaction des sociétés d’Etat) et de la redistribution desdits revenus (répartition des revenus, transferts infranationaux), prend également en compte le suivi du cadre légal et institutionnel (cadre légal, registre, propriété effective, contrats et licences, participation de l’Etat), de la production (exploration, production et exportation) et des dépenses sociales et économiques du secteur extractif.

Pour rappel, dès le 1er avril 2021, le Cameroun a été temporairement suspendu de l’ITIE pour cause de non publication du rapport 2018 avant le 31 mars 2021. Toutefois, sur instruction du Chef de l’Etat, le ministre des Finances (Président du Comité ITIE) et le ministre en charge des Mines (Vice-président du Comité ITIE) ont pris le pari de sortir le Cameroun de cette suspension temporaire à travers la publication du rapport ITIE 2018 au plus tard le 30 juin 2021. Un tel pari témoigne de tout l’intérêt que le Cameroun accorde à son secteur extractif et réaffirme implicitement toute l’ambition politique que le Cameroun porte à ce secteur indépendamment des défis auxquels il fait face.

Entretien avec Idriss Linge et Jean Christian Nselel

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