(Investir au Cameroun) - « Au secours M. le président de la République ! Trop c’est trop, nous sommes fatigués. 13 mois sans salaire, c’est inhumain ! ». Tel est le message imprimé sur une banderole déployée depuis cette matinée du 7 juin 2021 à l’entrée de la direction générale du Parc national du matériel du génie-civil (Matgénie), dans la capitale camerounaise. « C’est un groupuscule de collègues qui a décidé de descendre dans la rue depuis ce matin. Il ne s’agit pas d’une grève organisée par les délégués du personnel », confie une source interne à cette entreprise publique spécialisée dans le BTP, tout en reconnaissant que la tension est à son comble au sein de cette société d’Etat, à cause de 13 mois d’arriérés de salaires.
En effet, les irréductibles du Matgénie, qui manifestent depuis ce matin, ont décidé de faire fi d’un « communiqué des délégués du personnel » signé le 28 mai 2021, invitant les employés au calme après une concertation avec la direction générale du Matgénie. « (…) Monsieur le directeur général nous a convié à une séance de travail ce jour (28 mai 2021). Au cours de cette séance de travail, il en ressort que l’engagement de monsieur le directeur général de payer deux mois de salaires au mois de mai (…) était conditionné par le paiement de deux décomptes des travaux par le ministère des Travaux publics. Si ce dernier reste d’actualité, toutefois, il connaîtra un léger glissement de date (…) Ceci étant, monsieur le directeur général nous charge de vous annoncer que les deux mois de salaires promis seront payés, le premier la semaine prochaine et le deuxième avant le 15 juin », apprend-on du communiqué des délégués du personnel.
En effet, en raison des difficultés managériales et financières auxquelles elle fait face depuis bientôt 20 ans, cette entreprise publique jadis dédiée à la location des engins du BTP, devenue le mastodonte public du BTP depuis la réforme de 2015, est désormais obligée de faire la manche, faute de moyens. Pourtant, souligne la Commission technique de réhabilitation des entreprises du secteur public et parapublic dans son rapport 2019 sur les sociétés d’Etat, « le déploiement marketing impulsé au sein de la société depuis 2018 lui a permis d’avoir un portefeuille important de commandes ». Mais, apprend-on, ces commandes « n’arrivent pas à être exécutées en raison des difficultés de trésorerie. On peut citer des contrats de travaux d’entretien des infrastructures routières avec diverses administrations et des privés pour un montant de 15,7 milliards de FCFA, en tant que prestataire ou maître d’ouvrage dans le domaine du génie civil (81%) et des études (19%) ».
Mais, au-delà de cette absence de capacité financière, qui fait du Matgénie un véritable géant aux pieds d’argile, cette société d’Etat abrite depuis plusieurs années un conflit managérial déclenché par son président du Conseil d’administration, Jean Roland Daniel Ebo. « La réunion que vous avez présidée le 13 novembre 2019 avec les administrateurs et la direction générale du Matgénie a fini de nous convaincre que la volonté du président du Conseil d’administration de faire obstacle au bon fonctionnement de l’entreprise ne prendra pas fin », soutiennent les administrateurs du Matgénie dans une lettre adressée au ministre des Travaux publics le 18 novembre 2019.
Une réforme rendue inopérante…
Et ces administrateurs d’égrener un chapelet de récriminations contre le PCA : « la convocation du Conseil, de même que l’ordre du jour, dépendent exclusivement du bon vouloir du PCA : les demandes pressantes et répétées de la direction générale et l’avis des autres administrateurs sont sans effet ; le choix des administrateurs invités à siéger dépend, lui aussi, de la volonté du PCA, à telle enseigne que l’on se retrouve en session de Conseil avec des administrateurs qui ont déjà été remplacés par leur administration d’origine (…) ; les sessions du Conseil sont interminables et presque stériles, parce que le PCA voudrait imposer son point de vue sur tout sujet discuté et, lorsqu’il n’obtient pas satisfaction, il passe au point suivant sans avoir conclu le point discuté. Il n’est pas rare qu’il quitte la salle brusquement, mettant fin à une session sans en épuiser l’ordre du jour, tout simplement parce qu’il a été mis en minorité sur un point donné de l’ordre du jour ».
En dehors des sessions du Conseil, apprend-on, les manœuvres concourant au blocage du fonctionnement du Matgénie se poursuivent avec des attitudes telles que « le refus de concertation avec les administrateurs pour détendre l’atmosphère entre le PCA et le directeur général et dynamiser la direction générale et le Conseil d’administration ; la propension du PCA à s’immiscer, sans consultation du Conseil, dans la gestion quotidienne de l’entreprise, au point de signer une décision rapportant une décision du directeur général, ou encore de vouloir imposer au directeur général un collaborateur en la personne de l’ex-DAF, actuellement sous mandat de dépôt, qui a posé des actes ayant entraîné la perte de confiance du DG ; la reconduction du contrat du commissaire aux comptes sans consulter le Conseil… ».
Pendant ces agissements du PCA, qui, selon ses administrateurs, a écrit 178 lettres de dénonciations diverses à différentes institutions de la République entre juin 2017 et décembre 2018, les employés du Matgénie, eux, broient du noir. Ceci, bien que l’État ait décidé, en 2015, de relancer cet ancien loueur d’engins du génie-civil qui a laissé filer ses parts de marché aux opérateurs privés, en une véritable entreprise publique du BTP. C’est-à-dire, une entité pouvant postuler pour les contrats relatifs à la construction des infrastructures dans un pays transformé en un vaste chantier depuis 2012.
Mais, depuis cette réforme pourtant prometteuse, qui a conduit à la nomination d’une nouvelle équipe managériale en 2017 (dont le PCA accusé de saborder le fonctionnement de l’entreprise), le Matgénie peine à décoller. Tout ceci, à cause des caprices de certains dirigeants et des obstacles qui bloquent l’implémentation d’un projet gouvernemental visant à doter cette société d’État de près d’un millier d’engins du BTP.
Brice R. Mbodiam
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