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Yaoundé - 29 avril 2024 -
Energie

Importations des carburants : TotalEnergies, Tradex, Ola, Neptune etc. repositionnés au détriment de la Sonara

Importations des carburants : TotalEnergies, Tradex, Ola, Neptune etc. repositionnés au détriment de la Sonara

(Investir au Cameroun) - Dans les prochains jours, le Cameroun va changer son mécanisme d’approvisionnement du marché domestique en carburants. Dans une lettre du secrétaire général de la présidence de la République (SGPR), Ferdinand Ngoh Ngoh, adressée le 14 décembre 2023 au ministre de l’Eau et de l’Énergie, Gaston Eloundou Essomba, on apprend que le président de la République, Paul Biya, « prescrit de procéder à la libéralisation des importations des produits pétroliers ». Concrètement, selon la même lettre, la Caisse de stabilisation des prix des hydrocarbures (CSPH) va désormais attribuer des quotas aux « importateurs majeurs du secteur, présentant les profils techniques et financiers leur permettant de procéder immédiatement aux importations ».

À en croire plusieurs acteurs internes au secteur et à l’administration, cette terminologie désigne les membres du Groupement des professionnels du pétrole (GPP), actuellement présidé par le PDG de Neptune Oil, Antoine Ndzengue. Il s’agit notamment des marketeurs TotalEnergies, Tradex, Ola Energy, Nepturne Oil, Bocom. D’ailleurs, dans le même courrier, il est demandé au Minee de « permettre aux marketeurs d’acquérir les produits pétroliers directement auprès des fournisseurs de leur choix ». Avec ces nouvelles orientations, Paul Biya « réhabilite » la CSPH dans « la fonction de pilotage du processus d’attribution des quotas aux importateurs », responsabilité dévolue au ministère de l’Eau et l’Énergie (Minee) depuis près de 4 ans, et repositionne également les marketeurs sur le marché des importations des produits pétroliers au détriment de la Société nationale de raffinage (Sonara).

La Sonara perd sa manne

Pour mieux comprendre cette évolution, il faut savoir qu’après l’incendie des installations de la Sonara, survenu fin mai 2019, le Cameroun s’approvisionne en produits pétroliers exclusivement à partir des importations. En vue d’assurer un approvisionnement régulier du marché local, le président de la République avait décidé, en fin de cet exercice, d’attribuer au raffineur public des agréments pour la couverture de 80% des importations des produits pétroliers consommés par le pays, et seulement 20% aux marketeurs, apprend-on du rapport 2020 de la Commission technique de réhabilitation des entreprises du secteur public et parapublic (CTR), un organisme spécialisé du ministère des Finances (Minfi). Cette décision, couplée au « soutien à la raffinerie » (47,88 FCFA par litre de carburants vendu), a permis à la Sonara de réduire ses pertes entre 2019 et 2020 de 107,3 à 10,6 milliards de FCFA, et d’atteindre un résultat net positif après impôts de 78,9 milliards de FCFA en 2021.

Aujourd’hui, le chef de l’État demande de repartir les parts de marché en fonction des « profils techniques et financiers » des marketeurs, et confine la Sonara à la simple « confirmation des analyses réalisées par la société Hydrac (Hydrocarbures analyses contrôles, NDLR) » sur les produits pétroliers importés. Cette orientation devrait avoir un impact négatif sur la santé financière de cette société d’État. Mais, « il s’agit d’une bonne nouvelle pour les marketeurs-importateurs comme TotalEnergies ayant des capacités techniques et financières importantes », commente une source interne au GPP. En effet, sachant qu’un importateur gagne 16 FCFA sur chaque litre de super, gasoil et pétrole lampant importé, l’augmentation des parts de marché entraîne forcément la hausse du chiffre d’affaires.  

En fin d’année 2019, Paul Biya avait par ailleurs prescrit, toujours selon la CTR, « la sélection de quatre traders internationaux, pour l’approvisionnement pérenne du pays en produits pétroliers ». À la suite de cette prescription, le ministère de l’Eau et de l’Énergie a mis en place un « nouveau mécanisme consistant, tous les trimestres, à sélectionner par voie d’appel d’offres international quatre traders pour fournir les importateurs locaux de produits pétroliers », avec parmi les critères principaux « l’offre la plus basse proposée en matière de prime accordée au trader ».

Baisse des primes des traders

« Et depuis cette période, le nouveau mécanisme d’approvisionnement a permis d’obtenir des baisses significatives de la prime de l’ordre de 98 dollars par tonne métrique (-76,56%) pour le super, 77 dollars par tonne métrique (-63%) pour le gasoil et 53 dollars par tonne métrique (-49%) pour le jet A1. Une simulation faite sur cette base a révélé la réalisation par l’État d’économies annuelles de l’ordre de 100 à 150 milliards de FCFA [sur la subvention des produits pétroliers] », soutient-on à la fois à la CTR et au Minee. Et, selon les mêmes sources, ce sont ces économies qui sont transférées (en partie) à la Sonara, à travers la ligne « soutien à la raffinerie » insérée dans la structure des prix dès mars 2020. Selon le Minee, au 30 septembre 2023, cette ligne avait permis de mobiliser 270 milliards de FCFA. Un argent destiné à rembourser les nombreux créanciers intérieurs et extérieurs du raffineur public dont la dette est en cours de restructuration.

Malgré ces avantages, Paul Biya vient de prescrire de revenir quasiment à la situation d’avant, « sans concertations avec les ministères sectorielles », soutiennent plusieurs sources dans ces administrations, qui disent avoir été surprises par ces nouvelles directives. D’ailleurs, la correspondance du SGPR, répercutant les instructions présidentielles, ne vise aucun courrier provenant d’un département ministériel sectoriel. La décision du président de la République intervient cependant alors que le pays connait, depuis quelques jours, une pénurie du super carburant. Du coup, dans le secteur pétrolier et au sein du sérail, on n’hésite pas à établir un lien de causalité entre les directives du chef de l’État et cette pénurie.

« Quand chaque importateur ou marketeur allait acheter le produit, il pouvait surfacturer. Et le manque à gagner (à verser par l’État à chaque marketeur, NDLR) variait d’un importateur à un autre. En procédant par appel d’offres, on n’a, non seulement harmonisé les prix d’achat à l’importation, mais également réduit le volume de la subvention de l’État. Mais, en fait, l’affaire d’appel d’offres pour importer les produits gênait certains. Ils se sont donc mis au travail pour montrer les limites des appels d’offres en organisant les pénuries », analyse un cadre du secteur, tout en s’abstenant de pointer précisément un acteur. « La solution qui est aujourd’hui abandonnée n’était pas parfaite, mais elle adressait déjà un problème. Celui de l’explosion des primes des traders et des manques à gagner compensés par l’État. À mon avis, c’est le refus d’une collaboration plus étroite avec les marketeurs qui conduit à la décision actuelle », ajoute un autre cadre dans le secteur pétrolier.

Stocks règlementaires non assurés

Quoiqu’il en soit, ce nouveau mécanisme n’a pas permis au Cameroun de toujours disposer des stocks règlementaires, fixés à 15 jours de consommation pour les stocks commerciaux. La preuve, la pénurie actuelle, si l’on en croit le ministre de l’Eau et de l’Énergie, est due à des « conditions météo-océanologiques défavorables », qui ont retardé pendant quatre jours les navires devant desservir le pays. Ce qui suppose que si les stocks commerciaux disponibles couvraient 15 jours de consommation, cet incident n’aurait pas impacté la disponibilité de l’essence dans les stations-service.

D’ailleurs, de sources concordantes, la Sonara a souvent peiné à assurer la couverture de 80% des importations des produits pétroliers consommés par le pays, accordée par l’État. Selon la CTR, en 2021, par exemple, « la Sonara n’a satisfait les besoins du marché national qu’à hauteur de 67,89%, correspondant à 1 408 486 m³ ». En cause, liste la même source, la « rareté des devises » et « le blocage de ses opérations d’importation par la Beac pendant le dernier trimestre 2021, pour défaut de présentation des pièces justificatives (quittances douanières) des précédentes importations ».

Par ailleurs, le processus de passation des marchés d’importations est lui aussi souvent accusé d’être à l’origine des retards dans le renouvellement des stocks. En juin 2022, par exemple, des traders, sélectionnés après un appel d’offres, avaient finalement jeté l’éponge jugeant les primes trop bases. Ce qui a obligé la commission de passation des marchés, logée au Minee, à reprendre le processus, faisant courir au pays le risque d’une perturbation dans l’approvisionnement des produits pétroliers.

Plusieurs sources au sein du Groupement des professionnels du pétrole affirment que la libéralisation des importations des produits pétroliers devrait permettre d’éviter ces problèmes, si l’État et les acteurs du secteur capitalisent les acquis du mécanisme précédent. « L’État connaît déjà le niveau de prime que les traders sont prêts à accepter. On ne pourra plus lui raconter m’importe quoi. L’administration peut d’ailleurs fixer un montant plancher de prime à ne pas dépasser », tente-t-on de rassurer. En tout cas, selon les nouvelles directives de Paul Biya, il revient au ministère de l’Eau et de l’Énergie de « veiller à ce que les entreprises chargées de l’importation et de la distribution des différents produits respectent les prix homologués par le gouvernement ». L’enjeu est en effet important : une non maitrise des primes des traders pourrait compromettre le « soutien à la raffinerie » sur lequel repose le remboursement de la dette restructurée de la Sonara.  

Aboudi Ottou

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