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Yaoundé - 09 mai 2024 -
Environnement

Développement durable : au cœur des divergences sur la gestion de la forêt d’Ebo au Cameroun

Développement durable : au cœur des divergences sur la gestion de la forêt d’Ebo au Cameroun

(Investir au Cameroun) - Après de longues années de tergiversation, l’État du Cameroun se serait finalement décidé au sujet de la gestion de la forêt d’Ebo : « Le gouvernement a définitivement opté pour la réinstallation des populations dans la localité, en associant exploitation forestière et conservation », affirme un conseiller du ministre des Forêts et de la Faune, Jules Doret Ndongo (au centre sur la photo). À cheval entre les régions du Littoral (départements du Nkam et la Sanaga maritime) et du Centre (département du Mbam et Inoubou), cet espace, qui s’étend sur plus de 1 400 km2 (d’autres sources parlent de 2 000 km2), a été dépeuplé pendant la guerre d’indépendance du Cameroun (1955-1971), à la suite d’une décision administrative. Prise le 31 juillet 1963 par le feu Ferdinand Koungou Edima, alors préfet du Nkam, elle a été déclarée zone interdite d’habitations afin d’isoler les combattants de l’UPC reclus dans cette forêt.

Depuis plusieurs années, le massif est au centre d’intérêts divergents : il y a les populations déplacées (les Banens), qui souhaitent retourner dans leurs villages et conserver leurs droits coutumiers sur cette forêt ; l’État, qui lorgne les recettes forestières ; les sociétés forestières, qui convoitent ses nombreuses essences ; les agro-industries, qui visent ses vastes étendues de terres arables ; et des ONG, qui militent pour sa conservation… D’ailleurs, entre 2006 et 2012, l’État a tenté d’y créer un parc national de plus 141 000 ha. Mais, « ledit dossier n’a pas connu l’aboutissement espéré par le Minfof (ministère des Forêts de la Faune, NDLR), à cause de la non-adhésion d’une grande partie de la population au projet de création du parc », avait indiqué le ministre Jules Doret Ndongo, lors d’un point de presse le 22 juillet 2020.

L’option gouvernementale

Le membre de gouvernement tentait alors de justifier le classement dans le domaine privé de l’État d’une partie de cette forêt (68 385 ha), et la création d’une unité forestière d’aménagement (UFA). Mais, à la suite des contestations des populations, soutenues par des ONG et autres associations, le décret y relatif, pris le 14 juillet 2020 par le Premier ministre (PM), Joseph Dion Nguté, a été retiré quelques semaines plus tard. Sauf que le 27 avril 2023, Joseph Dion Nguté a signé un nouveau décret classant la même partie de la forêt d’Ebo dans le domaine privé de l’État, en vue d’en faire « une forêt de production du bois d’œuvre ».

Comme dans le décret du 14 juillet 2020, la surface classée est désormais une UFA constituée de deux blocs. Un de 51 816 ha, situé dans la commune de Yingui dans le département du Nkam, et un autre de 16 569 ha, localisé dans la commune de Massok-Songloulou dans le département de la Sanaga Maritime. Et dans ce dernier bloc, le Minfof a autorisé, le 29 juin, l’entreprise forestière Sextransbois à récolter du bois sur 2 500 ha. Parallèlement, apprend-on de sources autorisées, des réunions se tiennent à la présidence de la République sur le « désenclavement du massif forestier d’Ebo ». Le secrétaire général de la présidence de la République, Ferdinand Ngoh Ngoh, a d’ailleurs invité le ministre de Travaux publics, Emmanuel Nganou Djoumessi, à se faire représenter à celle du 27 juin 2023. On ignore pour l’instant ce qui en est ressorti.

Mais, dans le cabinet de Jules Doret Ndongo, on jure que la démarche actuelle est différente de la précédente. Les collaborateurs du Minfof en veulent pour preuve l’article 4 ajouté au décret du 27 avril 2023. Cette disposition prévoit la création des « enclaves à l’intérieur du domaine foncier et délimitées autour des anciens villages identifiés lors de l’élaboration du plan d’aménagement (forestier) ». Le même article intègre la facilitation du « retour des populations dans leurs villages » parmi les objectifs du cahier de charges du concessionnaire.

En plus, affirme un conseiller de Jules Doret Ndongo, « les activités économiques promues à travers l’exploitation forestière visent à inciter au repeuplement du massif forestier d’Ebo ». Selon les projections du ministère des Forêts et de la Faune, faite sur l’hypothèse de 115 000 m3 de bois récoltés par an dans cette forêt, environ 1 000 emplois devraient être créés. Les communes riveraines devraient bénéficier des recettes d’un montant de 2,7 milliards de FCFA en 10 ans au titre de la redevance forestière annuelle. « Si on y inclut les taxes indirectes et l’éventualité des autres activités écologiques à développer, les recettes directes et indirectes pourraient s’élever à près de 70 milliards de FCFA pour l’État, avec des bénéfices importants sur le plan local », apprend-on. Cet argent, croit-on au Minfof, devrait permettre à l’État et aux communes riveraines de construire les infrastructures de base pour faciliter le retour des populations déplacées.

Divergences au niveau local

Cette option du gouvernement rencontre l’assentiment d’une partie de la population regroupée au sein du Comité de développement de la forêt d’Ebo (CDFB). Cette association, qui compte en son sein une partie de l’élite politique et économique locale, est présidée par le député Samuel Moth (à gauche sur la photo). Depuis le processus avorté de 2020, le parlementaire bat campagne en faveur de la création d’une UFA qu’il présente comme « le socle de la gestion durable et participative des forêts au Cameroun ». Pour lui, « l’exploitation forestière n’est pas l’accaparement des terres », mais devrait permettre le désenclavement de la zone forestière, la création des emplois et générer des ressources pour le développement local.

Mais, l’association Munen-Retour aux sources, qui se présente comme « un regroupement des fils et filles des déportés de la terre d’Ebo », y est totalement opposée. Son président, Sa Majesté Victor Yetina (à droite sur la photo), multiplie depuis quelques semaines des sorties médiatiques et des rencontres avec la presse pour expliquer la position de l’association. À l’occasion d’une de ces rencontres organisées le 18 juillet 2023 à Yaoundé, l’on a appris que Munen-Retour aux sources demande le retrait du nouveau décret du Premier ministre. « Nous ne voulons pas vivre dans des enclos (allusion aux enclaves), qui se situent en plus dans le domaine privé de l’État », a martelé celui qui est par ailleurs chef du village Ndikbassogog I, dans le canton Lognanga.  

Ce dernier doute d’ailleurs que l’exploitation forestière puisse profiter aux populations locales. « Depuis plus de 70 ans, il y a l’exploitation forestière dans le Nkam. Mais, jusqu’aujourd’hui la route n’est même pas encore totalement bitumée… Il y a une forêt communale de 14 000 ha à Yingui, qui est exploitée depuis près de 4 ans. Et pourtant, c’est les populations qui cotisent pour entretenir la route, il n’y a pas un comprimé de paracétamol à l’hôpital, 70% du personnel du lycée est parti parce qu’il n’y a pas les moyens… Si l’exploitation forestière était une panacée, Yokadouma (pus grande commune forestière du Cameroun, NDLR) serait la ville la plus développée du pays », soutient Victor Yetina.

Le ministre des Forêt et de la Faune admet lui-même qu’il existe un « contraste entre nos énormes richesses forestières et l’extrême pauvreté des riverains ». Et pour Jules Doret Ndongo, cette situation est surtout le fait des « dérapages de la gouvernance locale » qu’il faut corriger. « Nous, nous voulons qu’il y ait au préalable un plan d’aménagement du territoire pour la forêt d’Ebo, en vue d’un développement durable. C’est ce qui va permettre de réhabiliter les villages, d’identifier les zones critiques pour la biodiversité et la conservation, et voir s’il y a d’autres espaces à affecter à d’autres usages », explique le président de Munen-Retour aux sources, qui précise que la coopération allemande est prête à financer ce plan.

Aboudi Ottou

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