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Yaoundé - 06 mai 2024 -
Economie

Alex-Ariel Tchetgnia (N-Soft) : « le taux camerounais de la taxe sur les transferts d’argent est le plus faible »

Alex-Ariel Tchetgnia (N-Soft) : « le taux camerounais de la taxe sur les transferts d’argent est le plus faible »

(Investir au Cameroun) - Le polytechnicien camerounais est le vice-président de N-Soft qu’il a rejoint en 2007. Cette entreprise, créée en 1986, propose des solutions technologiques innovantes aux États pour maximiser leurs recettes fiscales, notamment dans les secteurs des télécoms, des services financiers, de l’eau, de l’électricité, du divertissement et des jeux de hasard. Fort de son expérience chez N-Soft, le diplômé de Télécom Paris se prononce sur la taxe sur les transferts d’argent entrée en vigueur au Cameroun en janvier 2022. Il propose par ailleurs des solutions pour une mobilisation optimale des recettes fiscales à partir des télécommunications. Une option qui est dans l’air du temps.

Investir au Cameroun : Depuis le 1er janvier 2022, le Cameroun applique une taxe de 0,2% sur les transferts d’argent, y compris via le Mobile Money. En tant qu’expert dans la mobilisation des ressources domestiques pour les pays à faible taux de bancarisation, que pensez-vous de cette taxe ?

Alex-Ariel Tchetgnia : Écoutez, le monde entier s’échine à sortir de la crise du Covid-19, qui a ébranlé ce qu’on considérait comme des acquis. En ralentissant les économies, elle a altéré les capacités des États à s’autofinancer. À la place de l’État, vers quels secteurs vous tourneriez-vous pour renflouer vos caisses ? Évidemment vers l’un des secteurs qui ont tiré leur épingle du jeu de la crise du Covid-19.  

Regardez partout dans le monde. Les télécommunications connaissent une croissance extraordinaire. Les mesures de distanciation sociale, riposte principale à la pandémie du Covid-19, ont contraint les populations à préférer s’appeler plus tôt que se rencontrer ; à préférer une transaction Mobile Money à un échange d’argent liquide. C’est la raison pour laquelle la téléphonie dans sa globalité et le Mobile Money en particulier ont connu une très forte croissance depuis le début de la pandémie du Covid-19.

Le Cameroun n’est d’ailleurs pas le seul pays à vouloir se refinancer à partir des télécommunications. Le Ghana aussi a instauré une taxe sur le volume d’argent transféré par Mobile Money, qui est entré en vigueur en 2022. Le Burundi a institué une taxe sur l’internet mobile qui est aussi entré en vigueur en 2022. Dans sa loi de finances 2022, le Zimbabwe donne le pouvoir au ministre des Finances d’instaurer une taxe sur les téléphones importés, etc. Et on ne parle là que des mesures qui entreront en application en 2022. Les exemples seraient encore plus nombreux si nous remontions dans le temps.

L’exception camerounaise est le taux retenu. Il n’est que de 0,2%, contre 1,75% au Ghana. Même en Côte d’Ivoire où l’on s’est essayé à cette mesure par le passé, la proposition du gouvernement avait été de 1,5%. Des taux très élevés qui n’ont rien à voir avec la démarche du gouvernement camerounais qui est resté frugal.

IC : Et que répondez-vous alors à ceux qui disent que trop d’impôt tue l’impôt ou qu’il est contreproductif de taxer un moyen de paiement ?

AAT : Ce sont des arguments que j’entends. Mais au regard des tendances dans le monde, je ne pense pas que le gouvernement ait eu le choix. La mobilisation des ressources domestiques est un enjeu de taille. Il faut que l’État puisse s’autofinancer pour vivre. Je note par ailleurs que contrairement aux autres pays qui ont adopté de telles taxes, le taux camerounais de 0,2% est le plus faible. Espérons finalement que les mécanismes de collecte de cette taxe soient fiables et que les sommes collectées servent aux ambitions de l’État à l’origine de l’instauration de cette taxe.

IC : On note de la part des opérateurs de téléphonie mobile au Cameroun une approbation silencieuse de cette taxe, contrairement au nouveau mécanisme de collecte de droits de douane sur les téléphones importés de 2020. Pourquoi selon vous ?

AAT : Cette question ne se justifie que parce que les opérateurs sont à l’initiative de la correspondance qui a poussé la BEAC (banque centrale, NDLR) à « légiférer » sur la nature du crédit téléphonique, et donc à s’opposer au projet de collecte des droits de douane sur les téléphones importés. Concernant la taxe sur le Mobile Money, il s’agit de dispositions prises par l’État et auxquelles les opérateurs, comme pour toute autre loi impactant un opérateur économique, doivent s’y conformer.

IC : Selon nos sources au ministère des Postes et Télécommunications, le système de collecte numérique des droits de douane sur les téléphones portables et les tablettes aurait, en plus d’augmenter les recettes douanières, permis à l’État de maitriser le chiffre d’affaires des opérateurs. N’était-ce pas ça le problème ?

ATT : N’ayant pas suffisamment d’accointances avec les opérateurs de téléphonie mobile au Cameroun, je ne pourrais pas donner une réponse scientifique à cette question. Il aurait fallu échanger avec eux pour comprendre leurs motivations.

Mais, regardons le projet lui-même. Il me semble que le mécanisme de collecte des droits de douane dans sa première formulation prévoyait que les opérateurs de téléphonie mobile eux-mêmes prélèvent quotidiennement un montant forfaitaire sur le crédit prépayé de l’utilisateur d’un téléphone soumis au prélèvement. Sous cette forme-là, l’État aurait su qui a du crédit, et qui n’en a pas, et ce, seulement parmi la population des personnes ayant un téléphone soumis à la collecte des droits de douane. C’est très insuffisant pour maitriser le chiffre d’affaires prépayé d’un opérateur.

Pour moi, la cause serait ailleurs. Le crédit téléphonique d’un utilisateur est assimilable à un chiffre d’affaires, puisqu’il n’est jamais remboursé au client par l’opérateur. Le projet de collecte des droits de douane sur les téléphones importés imposait aux opérateurs de partager ce chiffre d’affaires avec l’État. Ce n’est pas plaisant.

IC : Avec la taxe sur les transferts d’argent, la DGI projette de collecter environ 20 milliards de FCFA par an. Au regard du volume des transferts d’argent réalisé au Cameroun, ces prévisions vous semblent-elles réalistes ?

AAT : C’est encore une question difficile à laquelle je ne saurais répondre. Il y a beaucoup d’éléments à prendre en compte : l’assiette d’imposition, l’impact négatif de la nouvelle taxe sur le Mobile Money, etc. Je n’ai pas assez d’éléments pour répondre.

IC : Comment l’Etat pourrait-il s’assurer de collecter effectivement toutes les recettes découlant de cette taxe ?

AAT : C’est la question principale. En juillet 2021, Orange a déclaré générer 800 milliards de FCFA en volume mensuel de transactions Mobile Money. À multiplier par 2 pour tenir compte du volume généré par MTN. Les sommes en jeu sont faramineuses. Dans ce contexte, est-ce que l’État devrait se contenter d’attendre les déclarations des opérateurs sur les volumes de taxe collectée ?

À mon humble avis, la réponse est non ! Les enjeux sont très importants et la transparence est la clef pour garantir que les revenus de l’État soient effectivement collectés. Il existe des solutions de supervision financière simples et peu couteuses qui permettraient à l’État d’avoir une visibilité totale sur toutes les transactions Mobile Money. Voilà la solution pour s’assurer que l’État collecte effectivement toutes les recettes découlant de cette taxe.

IC : La mobilisation des ressources domestiques à partir des télécommunications est dans l’air du temps. Pensez-vous que c’est une tendance qui va s’enraciner ?

AAT : A cette question, je réponds absolument oui ! Les télécommunications en Afrique ne sont pas encore à leur plein potentiel. Il existe de nombreux pays avec des taux de pénétration inférieurs à 100%, contrairement à l’Europe. Ça signifie l’existence d’une réserve de croissance dans le secteur des télécommunications qui va rythmer les 5 voire les 10 prochaines années et sur laquelle les Etats vont essayer de tirer profit.

IC : À quelles conditions, cela peut-il être une importante source de recette pour les États ?

Les États ont deux options. Ils peuvent instaurer de nouvelles taxes sur le secteur. Mais c’est une approche très incertaine, avec le risque de soumettre les acteurs du secteur à une pression fiscale qui perturbe sa croissance. Je fais fi des réactions de la société civile et du peuple dans sa globalité face à une nouvelle taxe. En somme, il faut beaucoup de doigté pour s’orienter dans cette direction. Une autre approche consiste pour les États à disposer de l’expertise requise pour garantir la collecte effective des recettes découlant des taxes et impôts déjà existants. Avant d’adopter de nouvelles taxes, il faut s’assurer que les taxes déjà existantes sur les télécommunications soient efficacement collectées par l’État.

À une autre époque, il suffisait qu’un auditeur comptable « humain » collecte et analyse quelques factures d’un opérateur économique pour s’assurer ou pas de sa conformité vis-à-vis de ses engagements fiscaux. Aujourd’hui ce n’est plus possible, en tout cas pour ce qui concerne les entreprises comme les opérateurs de téléphonie mobile. Ce sont des entreprises qui produisent des millions d’actes de facturation par jour (à chaque appel, à chaque SMS, à chaque connexion internet, etc.). Le volume d’actes de facturation est si important qu’il ne saurait être analysé par une personne physique ou même morale. Un auditeur comptable est totalement incompétent dans le cas d’espèce. Ce qu’il faut à la place, ce sont des robots informatiques, capables d’absorber et traiter automatiquement les métadonnées sur les actes de facturations produits par ces opérateurs pour déduire leurs chiffres d’affaires. Sans cela, jamais l’État ne saura si oui ou non, les télécommunications participent à leur juste niveau aux recettes de l’État.

IC : Au Cameroun, la pression fiscale serait déjà au-delà de 50% dans les télécoms, selon les acteurs du secteur. La mobilisation des ressources domestiques à partir des télécommunications ne pourrait-elle pas asphyxier le secteur ? 

AAT : J’y ai déjà un peu répondu tout à l’heure. Partout en Afrique effectivement, les opérateurs de téléphonie mobile se plaignent de la pression fiscale qu’ils subissent. Et c’est vrai, les télécommunications sont en général plus taxées que les autres secteurs de l’économie. Ce n’est certainement pas positif pour le secteur.

Pourtant, en procédant à un benchmark rapide, on se rend compte que cette « pression fiscale » n’a pas les mêmes effets partout, et c’est ça qui m’interroge. Savez-vous que la contribution des télécommunications au PIB du Cameroun est inférieure à 3% depuis au moins 2007 ? Contre 7% au Mali et 10% en Côte d’Ivoire (pays où la pression fiscale serait par ailleurs plus forte) ? Au Nigéria voisin, les télécommunications participent à 9 voire 11% au PIB. Voilà quelques exemples qui choquent. Pourtant l’ARPU (le budget moyen mensuel consacré à la téléphonie par un abonné, NDLR) est sensiblement le même d’un pays à l’autre ; les opérateurs de téléphonie dans ces pays sont des filiales des mêmes multinationales. Alors, pourquoi la performance des télécommunications au PIB du Cameroun est-elle aussi faible ?

La vérité est qu’autant les opérateurs se plaignent de la pression fiscale, autant certains se plaignent des performances médiocres des télécommunications dans l’économie camerounaise. Qui a raison ? Qui a tort ? Certainement que chacun a un peu tort et un peu raison. Mais tant que l’État ne se dotera pas de système de contrôle lui apportant une visibilité totale et en toute autonomie sur les contours financiers des télécommunications, la réponse à ces questions lui échappera toujours. Elle est pourtant nécessaire pour la sécurisation de ses recettes, et pour une régulation fiscale et technique des télécommunications plus juste.

IC : En 2006, N-SOFT a conclu un accord avec Camtel, pour aider l’opérateur historique des télécoms du Cameroun à avaliser la justesse de son transit facturable, s’assurer de l’exactitude des montants qui lui sont facturés et se garantir les paiements de certains opérateurs internationaux. Où en êtes-vous ?

AAT : Je répondrais plus globalement… N-SOFT a d’abord été un fournisseur des opérateurs de téléphonie en solution de billing. Mais c’était il y a bien longtemps. N-SOFT s’est réorienté depuis une dizaine d’années sur le secteur GouvTech. Désormais, nous travaillons avec les États et nous les aidons à mettre en place des solutions efficaces pour la mobilisation des recettes domestiques.

IC : N-SOFT dit avoir des solutions pour aider les États à augmenter leurs recettes fiscales dans les secteurs tels que les télécoms, les services financiers, l’eau et l’électricité, les divertissements et les jeux de hasard. Comment comprendre que vous soyez peu audible au Cameroun où la mobilisation des recettes internes reste pourtant un défi ?

AAT : Je ne suis pas d’accord avec vous, il y a un intérêt grandissant pour les solutions de gouvernance au Cameroun. Comme toute innovation, il faut laisser un temps d’adaptation pour permettre aux Etats de comprendre les bénéfices et enjeux de ces solutions, et nous notons de plus en plus d’intérêt. La preuve, vous m’interviewez aujourd’hui.

IC : Que peut-on faire, à votre avis, pour que le Cameroun mobiliser plus de recettes dans ces secteurs ?

AAT : C’est un sujet vaste auquel je vais tenter d’apporter mon point de vue d’ingénieur. Pour le secteur des télécommunications, j’y ai déjà répondu. Il suffit de transposer ce que j’ai dit pour les télécommunications aux secteurs qui comme les télécommunications, brassent de grandes quantités d’actes de facturation, générés par des paiements en petites coupures. En somme, il s’agit pour l’Etat d’automatiser autant que possible la supervision financière des secteurs de son économie digitalisée.

Entretien avec Aboudi Ottou

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