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Yaoundé - 09 mai 2024 -
Education

Cameroun-Banque mondiale : coup de force de Tchiroma et Nalova dans un projet de plus de 73 milliards de FCFA

Cameroun-Banque mondiale : coup de force de Tchiroma et Nalova dans un projet de plus de 73 milliards de FCFA

(Investir au Cameroun) - Le niveau de mise en œuvre du Projet d’appui au développement de l’enseignement secondaire et des compétences pour la croissance et l’emploi (Padesce) est « très critique », de l’avis même de la Banque mondiale. Financé par l’institution de Bretton Woods pour 73,8 milliards de FCFA et par l’État du Cameroun (286 millions de FCFA déjà alloués), ce projet « est censé améliorer l’accès équitable à un enseignement secondaire de qualité et à une formation technique et professionnelle adaptée au marché ». Seulement, près de 3 ans après son approbation et à 2 ans et demi de sa clôture, le projet affiche un taux de décaissement de 14%. « La coordination interministérielle et l’appropriation du projet par les équipes ministérielles (…) sont nécessaires pour garantir la célérité dans la mise en œuvre des activités et des réformes soutenues par le projet », a conclu la dernière mission d’évaluation du projet par la Banque mondiale. Mais, pour les ministres des Enseignements secondaires (Minesec) et de l’Emploi et de la Formation professionnelle (Minefop), maîtres d’ouvrage du Padesce, le problème c’est le coordonnateur général, Paulette Ngo Bayiha. Elle a été évincée du projet le 25 mai dernier. En réalité, l’affaire cache une manœuvre pour le contrôle des ressources du Padesce…

Au siège du Projet d’appui au développement de l’enseignement secondaire et des compétences pour la croissance et l’emploi (Padesce), au quartier Bastos dans le premier arrondissement de Yaoundé, l’éviction du coordonnateur général de l’Unité de coordination du projet (UCP) est consommée. Dans le bureau de Paulette Ngo Bayiha, trône désormais Sophie Mbenoun (au centre sur la photo). Le conseiller technique n°1 au ministère de l’Emploi et de la Formation professionnelle, qui a défoncé la porte pour s’installer, a d’ailleurs signé, le 5 juin 2023, en qualité de coordonnateur général, une décision suspendant l’exécution d’un contrat attribué le 12 mai 2023.  

Alors coordonnateur technique de la composante 2 du Padesce, Sophie Mbenoun est choisie, le 25 mai 2023, pour assurer l’intérim à la tête de l’UCP par les ministres des Enseignements secondaires (Minesec) et de l’Emploi et de la Formation professionnelle (Minefop), maitres d’ouvrage et co-présidents du Comité de pilotage (Copil, une forme de conseil d’administration) du projet. On l’apprend dans une lettre adressée le même jour au directeur des opérations de la Banque mondiale d’alors, Élisabeth Huybens (elle a été remplacée le 1er juin par Cheick Kanté). Dans leur courrier, Pauline Nalova Lyonga (à droite sur la photo) et Issa Tchiroma Bakary (à gauche sur la photo) affirment « qu’à partir de la présente, le Minesec et le Minefop cessent toute collaboration professionnelle avec elle [Paulette Ngo Bayiha] en tant que coordonnateur général du Padesce ». Les deux ministres demandent d’ailleurs à la Banque mondiale de leur indiquer « la procédure d’ouverture du poste de coordonnateur général du Padesce, par appel à candidatures nationales ». 

Violation des textes

Il ressort de l’analyse de cette correspondance, que Pauline Nalova Lyonga et Issa Tchiroma Bakary ont limogé le coordonnateur général du Padesce, nommé un intérimaire, et souhaitent recruter un nouveau coordonnateur général. Une décision nommant Sophie Mbenoun comme coordonnateur général par intérim du Padesce est d’ailleurs prise le 29 mai 2023. Ces actes sont contestés par Paulette Ngo Bayiha. Dans les courriers envoyés à la Banque mondiale et aux services du Premier ministre, le professeur des lycées d’enseignement technique dénonce la violation des textes encadrant la mise en œuvre du projet. En effet, selon l’accord de financement (section I.B), « l’UCP est placée sous l’autorité d’un coordonnateur général recruté par appel à candidatures, dont le contrat est signé par le ministre de l’Économie, de la Planification et de l’Aménagement du territoire (Minepat) ». Pour l’enseignante, recrutée le 15 décembre 2021, c’est au Minepat, Alamine Ousmane Mey, qu’il revient de mettre un terme à son contrat, en vêrtu du principe du parallélisme des compétences.

« Le Minesec et le Minefop n’ont pas participé à votre recrutement, ni signé votre contrat de service, et de ce fait ne peuvent pas vous évaluer »

Dans leur lettre du 25 mai 2023 au directeur des opérations de la Banque mondiale, les maitres d’ouvrage répondent que « ce n’est pas le ministre de l’Économie qui a signé ce contrat ». Et d’ajouter : « Si notre collègue avait engagé le gouvernement par sa signature, notre réaction aurait été différente ». Le contrat de Paulette Ngo Bayiha a, en effet, été signé par le directeur général de la coopération et de l’intégration régionale (DGCOOP) d’alors, Charles Assamba Ongodo (il a été nommé vice-président de la Commission de la Cemac en mars 2023). Mais, que ce soit au ministère de l’Économie ou à la Banque mondiale, nos sources affirment qu’il a signé le document par délégation. Nous n’avons pas documenté une remise en cause de ce contrat par le Minepat. En plus, la signature d’Alamine Ousmane Mey figure même au bas d’une correspondance justifiant le recrutement d’un coordonnateur général, et expliquant le processus qui a conduit à la contractualisation de dame Ngo Biyiha. Datée du 14 février 2022, la lettre répond aux préoccupations du Minesec sur l’opérationnalisation du Padesce.

Selon Paulette Ngo Bayiha, les décisions de Nalova Lyonga et Issa Tchiroma violent également le décret du Premier ministre du 13 octobre 2021 fixant les règles régissant la création, l’organisation et le fonctionnement des programmes et projets de développement. « Au terme de trois évaluations non satisfaisantes (…), les contrats des responsables de l’unité de gestion nommés ou désignés sont annulés d’office, à la diligence du ministère de rattachement », indique l’article 43 alinéa 4 de ce texte. Pour le professeur des lycées d’enseignement technique, ces conditions ne sont pas réunies. En lui signifiant la fin de la collaboration, les deux ministres le laissent d’ailleurs entendre. « Le Minesec et le Minefop n’ont pas participé à votre recrutement, ni signé votre contrat de service, et de ce fait ne peuvent pas vous évaluer », peut-on lire dans leur lettre datée du 25 mai 2023.

Climat délétère 

Le 12 avril 2023, une réunion « relative à l’évaluation à mi-parcours du coordonnateur du Padesce » a pourtant eu lieu dans le cabinet du Minsec. À l’occasion, des « problèmes » ont été identifiés. Il s’agit de la non-conformité du contrat de service du coordonnateur général, l’absence de visibilité des maîtres d’ouvrage dans le site web du Padesce, le non-respect des instructions des maîtres d’ouvrage relatives à la révision du plan de travail annuel budgétisé (PTAB), la rupture de contrat avec la spécialiste des sauvegardes sociales (SSS), et les difficultés de consommation des ressources affectées au projet. Ce qui a donné lieu à plusieurs directives notifiées le 20 avril 2023 au coordonnateur général.

Paulette Ngo Bayiha y répond un peu plus de trois semaines plus tard. Dans son courrier, elle explique en substance que la révision de son contrat n’est pas de son ressort, qu’elle est en attente des réserves des co-présidents du Copil afin de leur soumettre le PTBA révisé, que la synergie relative à la communication sera renforcée en lien avec les équipes ministérielles, que la rupture du contrat de la spécialiste SSS est de sa prérogative, que toute la chaine de passation des marchés est instruite pour la réduction des délais de traitement des dossiers et que les coordonnateurs techniques et le responsable administratif et financier bloquent certains dossiers retardant la consommation des ressources. 

« Le Dr Paulette Marceline Ngo Bayiha ne remplit pas les critères de qualification et d’expérience requis par les termes de référence, pour remplir le poste de coordonnateur général du Padesce, d’où des difficultés d’appropriation du projet à date, source de nombreux blocages dans la mise en œuvre »

Sur les questions de révision de contrat et de sous consommation des ressources, dame Bayiha est confortée par une lettre du directeur des opérations de la Banque mondiale, envoyée le 24 mai 2023 aux maitres d’ouvrage. Mais pour ces derniers, l’évaluation de sa correspondance fait ressortir le fait qu’elle n’a pas l’intention de mettre en œuvre leurs directives. Ce qu’ils considèrent comme une « attitude de défiance et de confrontation vis-à-vis des maitres d’ouvrage ». Il s’agit d’ailleurs de la première raison évoquée par Nalova Lyonga et Issa Tchiroma pour justifier leur décision de la limoger.

Les deux membres du gouvernement pointent aussi l’incompétence de l’enseignante de formation : « vérification faite sur la base de son CV, le Dr Paulette Marceline Ngo Bayiha ne remplit pas les critères de qualification et d’expérience requis par les termes de référence, pour remplir le poste de coordonnateur général du Padesce, d’où des difficultés d’appropriation du projet à date, source de nombreux blocages dans la mise en œuvre », estiment-ils. Cette dernière a pourtant été sélectionnée à la suite d’un processus concurrentiel validé par la Banque mondiale. Elle a surtout été préférée à Sophie Mbenoun, désignée par les deux maîtres d’ouvrage pour assurer son intérim.

En outre, les deux ministres accusent Paulette Ngo Bayiha d’entretenir « un climat de travail délétère » au sein de l’UCP. Ce qui, soutiennent-ils, ne permet pas une implémentation sereine du projet et handicape l’atteinte des résultats. Les maîtres d’ouvrage font notamment allusion à la rupture du contrat de la spécialiste SSS, ou encore de la lettre d’observation adressée au responsable administratif et financier le 4 mai 2023.

« Lors du Comité de pilotage qui a eu lieu le 28 février 2023, il lui a été clairement dit que sa façon de gérer le projet n’était pas satisfaisante, parce que les intérêts des ministres n’étaient pas satisfaits »

Paulette Ngo Bayiha confirme un climat délétère au sein de son unité, mais affirme que cela est davantage dû au manque de considération d’une bonne frange du personnel acquise à la cause des deux membres du gouvernement. « Depuis mon recrutement le 15 décembre 2021, les deux ministères n’ont pas bien réagi au fait qu’aucun des coordinateurs techniques n’ait été promu coordinateur général, et une campagne de discrédit parallèle contre moi a commencé le 12 janvier 2022, lorsque le ministère de l’Enseignement secondaire écrit au ministère de l’Économie pour remettre en cause mon recrutement », raconte-t-elle dans un courrier consulté par Investir au Cameroun.

Guerre d’intérêts

De l’avis de certains acteurs impliqués dans le projet, l’éviction du coordonnateur actuel participe davantage d’une volonté des membres du gouvernement d’avoir un peu plus de contrôle sur la gestion du projet. Venue du secrétariat général de la présidence de la République, Paulette Ngo Bayiha n’aurait pas le profil souhaité pour ce faire. « Le recrutement de madame Ngo Bayiha n’a pas été très bien perçu par les maîtres d’ouvrages, qui espéraient que l’un des coordonnateurs techniques qui assurent jusqu’ici l’intérim soit coopté », confirme une source en interne. Et de poursuivre : « lors du Comité de pilotage qui a eu lieu le 28 février 2023, il lui a été clairement dit que sa façon de gérer le projet n’était pas satisfaisante, parce que les intérêts des ministres n’étaient pas satisfaits ».

Parmi les sujets de friction entre les deux parties, il y a la question des indemnités des équipes ministérielles. « Les indemnités des équipes ministérielles ont été réfutées par le Minepat en décembre 2022, au motif qu’elles étaient supérieures aux usages (un million de FCFA par mois pour les coordonnateurs techniques). Il a été demandé aux équipes de proposer des sommes plus réalistes et soutenables… », écrit Paulette Ngo Bayiha, en réponse à une directive qui lui demande de soumettre à la signature des maîtres d’ouvrage le texte sur les indemnités de projet des personnels désignées par ces derniers. Une réponse que les ministres ont considérée comme de la défiance.

Paulette Ngo Bayiha dit avoir rapporté à la Banque mondiale que ses problèmes avec les maîtres d’ouvrage reposent, en réalité, sur le fait que ceux-ci souhaitent que les ressources du projet leur soient directement confiées. Mais, l’institution de Bretton Woods n’aurait pas réagi. Interrogée sur cette attitude, l’institution financière n’a pas souhaité faire de commentaires. En réalité, ici aussi, on a déjà fermé la parenthèse Paulette Ngo Bayiha au Padesce. « Nous sollicitons votre confirmation de cette désignation pour débuter la collaboration avec le CG par intérim, en attendant le lancement du processus de recrutement d’un nouveau coordonnateur, selon les termes de référence qui nous seront soumis pour avis de non objection préalable… », écrit Cheick Kanté, le nouveau directeur des opérations de la Banque mondiale pour le Cameroun, dans un courrier adressé au Minepat le 13 juin 2023. On ne tardera donc pas à savoir si les retards observés dans la mise en œuvre du projet étaient le fait de Paulette Ngo Bayiha, arrivée à la tête de l’UCP le 15 décembre 2021, soit près d'un ans et demi après l’approbation du projet intervenue le 16 juillet 2020.

Aboudi Ottou

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