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Yaoundé - 02 mai 2024 -
Energie

Super et gasoil : pourquoi les prix à la pompe au Cameroun dépassent le double de ceux du marché international

Super et gasoil : pourquoi les prix à la pompe au Cameroun dépassent le double de ceux du marché international

(Investir au Cameroun) - Depuis le 3 février 2024, le litre du super carburant et du gasoil coûtent respectivement 840 et 828 FCFA au Cameroun, soit plus du double des prix pratiqués sur le marché international. Cette situation suscite au moins deux questions au sein de l’opinion. Où va la différence ? Peut-on parler de subvention de l’État dans ces conditions ? Investir au Cameroun a mené l’enquête et apporte des éléments de réponse.

Le super carburant vendu au Cameroun tout au long du mois de février 2024 a été acheté à 336,99 FCFA le litre, selon la structure des prix des carburants publiée par la Caisse de stabilisation des prix des hydrocarbures (CSPH). Et le gasoil, à 397,79 FCFA. Il se dégage donc une différence respective de 503,01 et 430,21 FCFA entre les prix à la pompe et les cotations sur le marché international. Cet argent est réparti entre l’État (impôts et taxes) et d’autres entités (principalement les traders, importateurs et marketeurs). Cette répartition varie selon que les produits pétroliers finis ont été livrés via le port de Douala ou celui de Limbe. 

Lorsque la livraison se fait à partir de Douala, pour chaque litre de super vendu, l’État perçoit 351,16 FCFA, ce qui représente environ 70% de la différence, tandis que les autres entités reçoivent 151,85 FCFA, soit 30%. Pour le gasoil, l’État perçoit 278 FCFA (64,6%), et les autres entités 152,21 FCFA (35,4%). Si la livraison se fait à partir de Limbe, la répartition change légèrement, en raison des coûts supplémentaires du transport maritime (cabotage entre Limbe et Douala) et des frais portuaires, principalement à l’avantage des entreprises privées. Dans ce cas, pour le super, l’État perçoit 337,97 FCFA (67%), et les autres entités 165,04 FCFA (33%). Pour le gasoil, l’État perçoit 273,55 FCFA (63,6%), et les autres entités 156,66 FCFA (36,7%).

Il y a aussi eu l’instauration de nouvelles taxes. Il s’agit de la « rémunération Sonara (Société nationale de raffinage) » et de la « modernisation des infrastructures », respectivement de 5 et 22,5 FCFA par litre de super et de gasoil vendus à la pompe.

La part captée par l’État a atteint ce niveau, grâce à la hausse des prix intervenue le 3 février 2024. Depuis cette date en effet, les prix du super et du gasoil au Cameroun ont respectivement augmenté de 110 et 108 FCFA. Cette augmentation s’est traduite par une hausse de la « péréquation transport ». Ce prélèvement est passé de 46 à 54,5 FCFA. Selon la CSPH, qui en a la charge, cette hausse de 18,5% est la conséquence d’une étude qui a permis de déterminer le niveau réel de ce poste dans la structure des prix des carburants. Il faut dire qu’en plus d’assurer le transport des carburants du port de Douala vers les dépôts de la Société camerounaise des dépôts pétroliers (SCDP), ce poste permet aussi d’assurer la subvention du gaz domestique. Selon la CSPH, la bouteille de gaz de 12,5 kg, actuellement vendue à 6 500 FCFA, devrait en fait coûter autour de 11 000 FCFA. 

Il y a aussi eu l’instauration de nouvelles taxes. Il s’agit de la « rémunération Sonara (Société nationale de raffinage) » et de la « modernisation des infrastructures », respectivement de 5 et 22,5 FCFA par litre de super et de gasoil vendus à la pompe. On ignore pour l’instant quel est le service qui est rémunéré. On sait néanmoins que les bacs de stockage de la Sonara sont utilisés pour stocker les carburants qui sont débarqués au port de Limbe. D’ailleurs, la rubrique « rémunération Sonara » est seulement active lorsque les carburants sont livrés à partir du port de Limbe, où est située cette entreprise publique. On ne sait non plus à quoi renvoie la taxe « modernisation des infrastructures ». 

Poids de la Sonara sur le prix des carburants

« Lorsque nous travaillions sur la nouvelle structure des prix, nous avons proposé une ligne “reconstruction de la Sonara”, en prévoyant que les recettes issues de ce prélèvement, qui doivent servir à la reconstruction d’une nouvelle raffinerie, seront sécurisées dans un compte séquestre à la Beac (banque centrale, NDLR). Mais, la structure définitive contient plutôt les lignes rémunération Sonara” et “modernisation des infrastructures”. Donc, nous attendons aussi des clarifications », indique un acteur du secteur.

Il faut dire qu’il existe déjà une taxe « soutien à la raffinerie » dans la structure des prix des carburants. D’une valeur de 47,88 FCFA par litre de produits pétroliers blancs vendus, elle a été instituée pour rembourser la dette de la Sonara due aux banques locales et aux traders. Si tous les deux nouveaux prélèvements sont destinés à la Sonara, le poids de cette entreprise publique sur les prix des carburants à la pompe variera de 70,38 à 75,38 FCFA, selon que les produits sont débarqués au port de Douala ou de Limbe. Et ceci, sans prendre en compte son statut d’importateur de produits pétroliers finis (une instruction présidentielle a demandé en fin dernière d’année dernière de « libéraliser » les importations de carburants). Une charge dénoncée par le député de l’opposition Cabral Libii. Cet élu affirme que « des mesures fiscales figurent déjà dans les lois de finances depuis 2020, pour le règlement du passif de la Sonara ». Il faut néanmoins préciser, à ce sujet, que la Sonara comptait également, au moment de l’incendie de la raffinerie le 31 mai 2019, une importante dette fiscale, en plus de sa dette financière et fournisseurs.

Fin des subventions sur le super et le gasoil

En plus, dans la structure des prix du mois de février 2024, la rubrique « soutien/remboursement État », qui indique la différence entre le prix à la pompe et le prix de revient, est aujourd’hui positive. En d’autres termes, il n’y aura pas de subvention sur le super et le gasoil pour ce mois. L’État engrange plutôt des recettes supplémentaires de 45,75 et 14,08 FCFA respectivement sur chaque litre de super et de gasoil vendus à la pompe lorsque les produits sont débarqués à Douala. Pour les livraisons faites à partir de Limbe, cette plus-value baisse à 22,93 FCFA pour le litre de super et devient un manque à gagner (subvention) de 13,65 FCFA pour le litre de gasoil. Officiellement, ces plus-values servent à apurer les arriérés de manques à gagner. Mais au ministère de l’Eau et de l’Énergie, on admet que leur gestion n’est toujours pas transparence.

En d’autres termes, si les prix restent stables sur le marché international ou poursuivent la tendance baissière observée depuis l’année 2023, l’État n’aura plus de subventions à consacrer au super et au gasoil. Il engrangera plutôt des recettes supplémentaires : plus-values et recettes issues des nouvelles taxes (« rémunération Sonara » et « modernisation des infrastructures »), fruits de la hausse des prix intervenue le 3 février 2024. Par contre, il devrait continuer à subventionner le pétrole lampant, dont la cotation sur le marché international reste supérieure au prix à la pompe. Selon les structures du prix des carburants, ce produit s’y est vendu à 390,14 et 404,44 FCFA, respectivement en janvier et février 2024, contre 350 FCFA à la pompe.

Pour le pétrole lampant, la question des subventions ne se pose pas. Au moins depuis 2022, les 350 FCFA que le consommateur paye à la pompe ne sont même pas suffisants pour acquérir un litre de pétrole lampant sur le marché international.

Les autorités auront alors atteint leur objectif de réduire les subventions aux produits pétroliers finis qui, selon elles, ont dépassé les 1 000 milliards de FCFA en 2022, avant de descendre à 640 milliards de FCFA en 2023, après la première hausse des prix du super et du gasoil intervenue en février 2023. Une réalité que plusieurs hommes politiques contestent. Les plus modérés estiment qu’il s’agit simplement d’un renoncement d’impôts et taxes, et les plus radicaux affirment que l’État ne subventionne même pas. Où se trouve la vérité ? Avant de répondre, il convient de préciser que, selon les experts en finances publiques, les subventions sont des exonérations d’impôts et taxes ou des dépenses consenties par l’État pour améliorer le pouvoir d’achat des ménages, promouvoir certains secteurs d’activité ou favoriser certains territoires.

Pour le pétrole lampant, la question des subventions ne se pose pas. Au moins depuis 2022, les 350 FCFA que le consommateur paye à la pompe ne sont même pas suffisants pour acquérir un litre de pétrole lampant sur le marché international. Selon les structures des prix des carburants, la cotation moyenne de ce produit à l’international a été de 536,4 et 369,8 FCFA, respectivement en 2022 et 2023. L’État a, de ce fait, comblé le gap entre les cotations à l’international et le prix à la pompe, et supporté les charges de la longue chaîne d’approvisionnement qui va du trader jusqu’aux consommateurs (voir la chaîne des acteurs ci-dessous).  

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En ce qui concerne le super et le gasoil, nous avons comparé les recettes fiscales aux manques à gagner sur un litre de carburant. Comme on peut le voir sur le tableau ci-dessus, en 2023, les prélèvements de l’Etat sont largement supérieurs aux manques à gagner. La différence est respectivement de 220,26 et de 134,65 FCFA pour le super et le gasoil. En d’autres termes, les subventions se sont limitées l’année dernière à un renoncement à une partie des recettes fiscales. Par contre, en 2022, en plus d’exonérer totalement le gasoil d’impôts et taxes, l’Etat a utilisé d’autres ressources pour maintenir inchangé le prix à la pompe. Car, sur chaque litre de ce produit, le manque à gagner a dépassé les recettes de l’Etat de 115,32 FCFA. Et pour le super, l’Etat à renoncer pratiquement à toutes ses recettes. Il faut en plus intégrer le fait que, pour qu’un litre de super ou de gasoil arrive dans les stations-service, l’Etat affirme dépenser plus de 58 FCFA pour le transport du port de Douala aux dépôts, le stockage et le contrôle qualité.

« Que ce soit des exonérations fiscales ou des dépenses proprement dites, les subventions aux carburants créent des pressions importantes sur la trésorerie. Car, il y a un décalage entre le moment où la subvention doit être versée et le moment où les impôts et taxes sont collectés. Il faut savoir qu’une partie importante des recettes fiscales sont prélevées pendant le processus de distribution des produits pétroliers, alors que le manque à gagner doit être remboursé à l’importateur une fois que sa cargaison est arrivée au pays, pour lui permettre de réimporter », explique une source proche du dossier au ministère des Finances. Ce que l’État peinait de plus en plus à faire à mesure que le volume des manques à gagner augmentait. Il s’accumulait alors des arriérés qui perturbaient le processus d’approvisionnement du pays en produits pétroliers finis.

Multitudes d’intervenants

Pour comprendre les prix des carburants à la pompe au Cameroun, il faut aussi intégrer que, depuis l’incendie survenu à la Sonara le 31 mai 2019, le pays importe tous les carburants consommés sur son territoire. Et de l’importation à la distribution, une longue chaîne d’acteurs est impliquée dans le processus. Elle est constituée de huit entités majeures (voir chaîne des acteurs). En 2022, cette chaîne a, par exemple, pesé de 200 et 220 FCFA respectivement sur le coût de revient du litre de super et de gasoil. Et trois types d’acteurs ont capté plus des trois quarts de cet argent. Il s’agit des traders, des importateurs et des marketeurs, regroupés dans le tableau ci-dessus dans la rubrique « autres entités ». Cette ligne rassemble la prime du trader, le coût de l’importation et la marge de l’importateur, ainsi que les charges de distribution (construction, maintenance et gestion des stations-service, transports des carburants vers les points de commercialisation, bénéfice des marketeurs…).

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Des hommes politiques estiment que la chaîne de valeur du secteur pétrolier aval au Cameroun mérite d’être questionnée, afin d’optimiser les coûts et donc, de réduire les prix à la pompe. Depuis 2020, avec la sélection par appel d’offres (il a été instruit de l’abandonner), les primes des traders ont été diminuées au moins de moitié, soutient le ministre de l’Eau et l’Énergie, Gaston Eloundou Essomba. En 2023, la prime des traders a même été négative (-9,67 FCFA en moyenne annuelle) pour le super (cela ne signifie pas forcément que les traders ont fait une mauvaise affaire ; car, avec leurs grandes capacités de stockage, ils achètent souvent les carburants quand les prix sont bas et les revendent quand les prix sont plus hauts). En d’autres termes, le Cameroun a acheté ce carburant en deçà de la cotation à l’international. Les coûts d’importation ont également été ramenés de 11 à 9% de la valeur du produit importé.

Mais, les charges de distribution n’ont pas varié et se situent toujours pour le litre de super et de gasoil respectivement à 66,5 et 52,9 FCFA. La rubrique « frais généraux », qui pèse jusqu’à 20,42 et 12,53 FCFA respectivement sur le coût du litre de super et de gasoil, est-elle vraiment pertinente ? Quelles charges de fonctionnement peuvent avoir les marketeurs, alors que la plupart sous-traitent la gestion de leurs stations-service à des revendeurs à qui il est déjà réservé 16 et 13 FCFA respectivement pour chaque litre de super et gasoil ? Des marketeurs ayant déjà une marge de 16 FCFA par litre comme importateur, méritent-ils toujours un bénéfice de 9,19 FCFA par litre sur les activités de distribution ? Les entreprises publiques de cette chaine de valeur gèrent-elles de manière efficiente les prélèvements qui leur sont dus ? Des questions et bien d’autres qui méritent un débat transparent.  

L’ancien directeur technique de la CSPH, qui a fait plusieurs sorties médiatiques en fin d’année dernière, pense que pour optimiser les coûts, il vaut mieux investir dans la construction des raffineries et des pipelines pour annuler les charges d’importation et réduire celles de transport. 

Pour leur part, des syndicalistes pointent le poids de la fiscalité sur le prix de revient de certains produits pétroliers finis. On observe, en effet, que les prélèvements de l’État contribuent pour plus de 60% au renchérissement des prix du super et du gasoil, par rapport à leurs coûts sur le marché international. La chaîne de valeur du secteur pétrolier aval étant l’une des plus structurées du pays, elle est considérée comme une source sûre de recettes fiscales par les autorités camerounaises.

L’expert pétrolier Boniface Ze soutient que cette perception est partagée par de nombreux gouvernements dans le monde. L’ancien directeur technique de la CSPH, qui a fait plusieurs sorties médiatiques en fin d’année dernière, pense que pour optimiser les coûts, il vaut mieux investir dans la construction des raffineries et des pipelines pour annuler les charges d’importation et réduire celles de transport. Une option que partage un ancien ministre camerounais. Mais, ce dernier précise « qu’il faut que ces raffineries soient techniquement compétitives et couvrent plus de la totalité des besoins du pays ». Tout comme « il est nécessaire d’améliorer la gouvernance des projets pour minorer les coûts d’investissement », ajoute un expert en montage de projets pétroliers.

Aboudi Ottou

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