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Yaoundé - 26 avril 2024 -
Gestion publique

Protais Ayangma : face au Covid-19, « il faudra s’adapter ou mourir »

Protais Ayangma : face au Covid-19, « il faudra s’adapter ou mourir »

(Investir au Cameroun) - L’assureur est une figure bien commue du patronat camerounais. Fondateur de plusieurs sociétés d’assurance, il est aujourd’hui à la tête du cabinet de conseil Prévoyance-Assurance-Assistance (P2A). Propriétaire du quotidien Mutations, l’entrepreneur a été le vice-président du Groupement inter-patronal du Cameroun (Gicam) avant de créer en 2009 Entreprises du Cameroun (Ecam). S’appuyant sur les informations remontées par les quelque 600 membres de ce groupement de PME, Protais Ayangma (PA) esquisse une première évaluation d’impact du Covid-19 sur les PME au Cameroun.

IC : À partir des retours que vous avez de vos membres, pouvez-vous, aujourd’hui, dire comment la pandémie de Covid-19 impacte les PME ?

PA : La pandémie de Covid-19 impacte les PME à tous les niveaux. Les effets ont été immédiats (dès l’annonce des mesures gouvernementales, et même avant, dès la fermeture des frontières des pays étrangers) et se feront ressentir à long terme. Si nous prenons pour références les réponses apportées par les PME au cours de cette enquête qui n’a aucune prétention scientifique, cette crise sanitaire a pour conséquences la baisse considérable du niveau d’activités, la faible réactivité des administrations en relation avec les entreprises et qui impactent leurs performances ; des charges sociales et de fonctionnement supérieures au chiffre d’affaire qui connait une baisse drastique ; une certaine psychose au sein des employés ; un moral en berne au niveau des patrons d’entreprises et la mise en stand-by de tous les investissements du fait de l’incertitude sur l’avenir.

Mais nous constatons aussi avec bonheur qu’il y a des PME agiles qui essaient de s’adapter en mettant en œuvre une gestion de crise par un plan de continuité de leurs activités et mieux par l’innovation et la réorientation de leur business model en réponse à la pandémie. Par exemple, il y a toute une économie qui se développe autour de la fabrication des gels hydro-alcooliques, des masques de protection et même des respirateurs, les services de livraison à domicile... Ecam les accompagne en leur proposant des formations en télétravail, en les encourageant à mutualiser leurs moyens.

IC : Quels sont les secteurs qui enregistrent des baisses d’activités ? Et de quel ordre sont-elles ?

PA : En réalité, quasiment tous les secteurs enregistrent des baisses d’activités. Cependant, le secteur tertiaire est celui où la baisse d’activité se fait le plus ressentir. Ceci est dû au simple fait qu’il représente 84% des entreprises. Plus concrètement, le transport urbain et interurbain, l’hôtellerie, les activités liées au divertissement notamment toute l’économie nocturne, la restauration, les bars, l’événementiel, l’esthétique (coiffure, massage, onglerie…). Les pertes d’après les chefs d’entreprise consultés sont de l’ordre de 60% et peuvent atteindre parfois 80%.

IC : À l’inverse, y a-t-il des secteurs qui connaissent des hausses d’activités ? Et de quel ordre sont-elles ?

PA : Il semble évident que les secteurs comme ceux de l’industrie pharmaceutique, de la savonnerie, de l’industrie textile et de la confection artisanale pourraient tirer profit de cette situation. Il en va de même pour tout ce qui touche au numérique, au mobile banking : le digital devrait connaitre un développement prodigieux. Il s’ouvre pour les start-up innovantes de larges avenues d’opportunités. Le secteur de la recherche y compris la pharmacopée traditionnelle pourrait rebondir. Il est difficile pour le moment de quantifier. Le nouveau profil de notre économie est en train de se dessiner. Il faudra s’adapter ou mourir.

IC : Quel impact sur l’emploi et le respect des engagements des entreprises ?

Le Covid-19 est une grande menace pour les emplois au Cameroun. Selon l’Union africaine, environ 20 millions d’emplois sont menacés en Afrique. La récession qu’on annonce et la forte pression démographique vont peser énormément sur l’emploi décent.

Les PME auront beaucoup de mal à faire face à leurs engagements de toute nature notamment envers leur personnel, leur banquier, leurs fournisseurs, l’État. Les PME auront besoin d’une importante injection de capitaux pour se relancer, mais avant elles ont besoin que leurs engagements soient suspendus ou moratorisés pendant un certain temps.

IC : En temps ordinaire, les PME ont déjà une durée de vie très limitée. À quoi peut-on s’attendre avec le ralentissement de l’activité économique dicté par la pandémie de Covid-19 ?

PA : Il faut s’attendre à ce que la durée de vie de plusieurs PME déjà très courte, soit revue à la baisse, avec une cascade de fermetures d’entreprise, un repli vers l’informel déjà bien obèse, des destructions massives d’emplois (ce secteur représente 67% des emplois au Cameroun) emportant des conséquences sociales. Mais le pire n’est pas inéluctable si des mesures d’urgence pendant et après cette période sont prises. Nous avons fait quelques propositions dans ce sens au gouvernement.

IC : Quel est le principal besoin actuel des PME ?

PA : Vous vous doutez bien que le principal besoin exprimé par les PME est l’accompagnement financier. Mais nous pensons qu’elles ont besoin d’être capacitées (formation) et accompagnées dans leur gestion, dans l’accès aux marchés y compris sous-régionaux, dans leur digitalisation…

IC : Ont-elles sollicité les banques ? Si oui, pour quels types de services ? Et que leur a-t-on répondu ?

PA : Les PME ont toujours sollicité les banques, lesquelles ne leur tendent pas malheureusement la main. Les sollicitations sont nombreuses et variées allant des crédits de trésorerie à court terme jusqu’à des crédits à terme aussi bien pour financer le besoin en fonds de roulement que leurs investissements.

La réponse qui leur est souvent donnée est que le dossier n’est pas bancable. Entendez pas de garanties (souvent), pas de comptabilité, pas d’expérience, pas d’historique. D’où le recours aux tontines, aux usuriers, aux financements participatifs pour les start-up et ceux qui peuvent au « love money ».

IC : Justement, Ecam demande la création d’un fonds de garantie souveraine « permettant de couvrir les engagements compromis auprès des banques pendant la crise ». Dans ces conditions, comment soutenir la frange important des PME qui s’autofinancent ?

PA : Vous suivez certainement l’actualité internationale et ce que certains pays font pour soutenir leurs entreprises stratégiques. La capacité d’autofinancement des entreprises est limitée, surtout pour nos PME. C’est l’un des reproches qui leur sont souvent faits. Elles doivent donc avoir recours à l’endettement pour financer une partie de leurs investissements. Cet endettement leur est suffisamment refusé parce qu’elles n’ont pas de garantie. L’État qui est réputé solvable peut leur apporter cette garantie (ce mécanisme a existé dans le passé, mais a été mal géré) ou des prêts directs ou encore des subventions. Ce que le ministère de l’Économie fait également, mais de façon très opaque.

IC : Quels pourraient être les critères d’éligibilité à cette garantie ?

PA : Les critères pourraient être économiques (rentabilité), sociaux (créations d’emplois), de souveraineté et d’indépendance (limiter notre dépendance vis-à-vis de l’extérieur), budgétaires (balance commerciale), d’aménagement du territoire… La gouvernance de ce Fonds devrait être privée.

IC : Quels secteurs pourraient être ciblés ?

PA : Les secteurs primaires et surtout industriels devraient être priorisés. Nous pensons qu’on pourrait structurer les PME en chaines de valeur et développer certaines filières. Ce qui pourrait d’ailleurs permettre d’inclure le secteur informel. Nous pensons par exemple à certaines filières comme la pisciculture et certaines céréales comme le riz et le maïs, l’économie numérique, les énergies renouvelables…

Interview réalisée par Aboudi Ottou

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