(Investir au Cameroun) - Le 28 décembre 2022, le ministre des Travaux publics, Emmanuel Nganou Djoumessi, a saisi le secrétaire général de la présidence de la République, Ferdinand Ngoh Ngoh (photo), par lettre N°11644, pour « obtenir une dérogation pour la prise en charge de la TVA, des frais de douane et des frais d’enregistrement du projet de réhabilitation de la pénétrante Est de Douala ». Cette démarche d’Emmanuel Nganou Djoumessi a été révélée le 29 mars 2023 à Yaoundé, lors de la réunion d’évaluation de ce projet, qui vise à construire un boulevard urbain d’une dizaine de kilomètres de long à l’entrée Est de la capitale économique du Cameroun.
Pour Magil construction corporation (MCC), maître d’ouvrage délégué du projet, si cette dérogation n’est pas obtenue, les travaux, qui ont repris sur ce chantier en février 2023 après une interruption d’environ trois ans, vont de nouveau s’arrêter. « Il faut à tout prix qu’on finalise la documentation TVA et droits de douane. Ça va commencer à devenir problématique, parce que nous allons devoir démarrer les importations de matériaux, et nous n’avons toujours pas la documentation pour pouvoir le faire », alertait déjà, un an plus tôt, le directeur de projet de Magil, Frédéric Zelmat, au cours d’une réunion similaire.
Genèse du problème
Pour comprendre cette affaire, il faut remonter à l’entrée de MCC dans ce projet. Arrivée au ministère des Travaux publics (Mintp) « sous forte recommandation », l’entreprise canadienne obtient un contrat commercial qui lui fait la part belle. Ce document, signé le 3 décembre 2019 par le ministre des Travaux publics, Emmanuel Nganou Djoumessi, et le vice-président de Magil, Franck Mathière, l’exonère de tous les impôts, droits de douane et autres taxes et prélèvements.
Du coup, les conventions de financement signées avec la Standard Chartered Bank de Londres (88,9 milliards de FCFA) et la Société commerciale de banque du Cameroun (10,1 milliards de FCFA) « ne prennent pas en charge les taxes et les frais de douane », indique-t-on à la direction des investissements routiers (Dir) du Mintp. « Il est question pour l’État du Cameroun de supporter ces charges fiscales », ajoute-t-on.
Sauf que « le mécanisme de prise en charge de la TVA et des frais de douane par l’État du Cameroun, au regard de la loi de finances 2019, n’est pas défini », apprend-on de l’exposé présenté lors de la réunion d’évaluation du 29 mars 2023. En réalité, les dispositions fiscales du contrat commercial et de la convention de financement ne sont pas conformes à la loi de finances 2019, qui a revu le régime fiscal des marchés publics à financement extérieur ou conjoint.
« Les droits et taxes liés aux marchés à financement extérieur ou conjoint sont à la charge de l’adjudicataire », et « les conventions de financement, y compris pour les marchés publics à financement extérieur ou conjoint, doivent impérativement être conclues toutes taxes comprises », dispose désormais la loi qui a pris soin de préciser que ce nouveau régime « s’applique aux conventions de financement conclues dès le 1er janvier 2019 ».
Silence radio à la présidence
S’appuyant sur ces nouvelles dispositions, qui ne prévoient pas la prise en charge des impôts, droits de douane, taxes et autres prélèvements par l’État, le ministère des Finances refuse de délivrer à Magil les attestations d’exonération de la TVA et des droits de douane. Un refus renforcé par le fait que le ministère des Travaux publics n’a pas prévu dans son budget une dotation nécessaire à la couverture des droits et taxes applicables à ce marché. Le ministère de l’Économie, de la Planification et de l’Aménagement du territoire, sollicité pour assurer cette couverture, à travers le chapitre commun (94), a réservé une fin de non-recevoir à cette requête, en raison des dispositions de la loi de finances 2019. D’où la sollicitation du secrétaire général de la présidence de la République.
Mais, depuis trois mois qu’il a été saisi, Ferdinand Ngoh Ngoh n’a toujours pas donné suite. Un courrier de relance a été initié depuis le 20 mars 2023 par les services du Mintp. Mais, jusqu’à la tenue de la réunion d’évaluation le 29 mars 2023, Emmanuel Nganou Djoumessi ne s’était toujours pas décidé à le signer. Pourtant, en cas d’arrêt des travaux, l’État sera le plus grand perdant.
À fin mars, MCC, qui est exempte de cautionnement, avait déjà reçu, selon des documents internes du Mintp, des paiements d’un montant de 46,4 milliards de FCFA, dont 21,8 milliards d’avance de démarrage. Et un montant de 9,2 milliards de FCFA était en cours de paiement. Sur ce projet d’un coût de 87,3 milliards de FCFA, l’État s’est déjà engagé pour 55,6 milliards, soit plus de 63% du financement. Et pourtant, le taux de réalisation des travaux atteint à peine les 15%, toujours selon le ministère des Travaux publics.
Les puristes de la gestion des finances publiques s’interrogent par ailleurs sur la régularité de ces paiements. En effet, l’on ignore pour l’instant si l’État et Magil sont liés par un marché public en bonne et due forme. Selon le Code des marchés publics, le marché public est pourtant le seul contrat écrit qui lie l’État à un prestataire. En plus, si ce contrat existe, il n’aurait pas pu être enregistré comme l’exige le Code général des impôts, au regard de l’imbroglio fiscal actuel.
Aboudi Ottou
Lire aussi :