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Yaoundé - 29 avril 2024 -
Gestion publique

Joseph Pagop Noupoué : « Ernst & Young Cameroun est une société virtuelle. Elle n’existe pas ! »

Joseph Pagop Noupoué : « Ernst & Young Cameroun est une société virtuelle. Elle n’existe pas ! »

(Investir au Cameroun) - Après une trentaine d’années de carrière discrète, l’avocat d’affaires camerounais de renommée internationale est au-devant de l’actualité depuis le début de l’année 2023. Il y a d’abord eu son entrée, en avril dernier, dans l’actionnariat de Savannah Energy et sa nomination comme président du conseil d’administration de cette junior pétro-gazière qui a été au cœur d’une brouille diplomatique entre le Cameroun et le Tchad. Aujourd’hui, le spécialiste des transactions et de la fiscalité internationale dans les domaines de l’énergie, des mines et du pétrole fait la Une des journaux à la faveur du conflit qui l’oppose au géant mondial de l’audit et du conseil Ernst & Young. Ces deux évènements auraient d’ailleurs un lien. Rencontré à Douala ce 14 octobre 2023, celui qui a débuté sa carrière chez Arthur Andersen donne, en exclusivité, sa version des faits sur cette dernière affaire.

Investir au Cameroun : Selon le cabinet international Ernst & Young (EY), vous avez été radié de ses effectifs et limogé du poste de directeur pays pour le Cameroun, depuis le 6 octobre 2023. Mais vous, dans un communiqué rendu public juste à la suite de cette annonce, vous soutenez plutôt avoir notifié à EY la résiliation des accords qui vous liaient jusqu’ici. Que s’est-il réellement passé ?

Joseph Pagop Noupoué : Pour remettre rapidement les choses dans leur contexte, il faut dire que dans la cadre de la séparation des activités de EY, connue sous le nom de code « projet Everest », quelques associés de sociétés membres du réseau EY en Afrique francophone et moi avons obtenu que cette séparation s’étende à nos pays. Les activités de conseil (non audit) dans neuf pays de la Cemac et de l’Uemoa devaient ainsi être regroupées dans un réseau sous régional indépendant, dans lequel les associés n’étaient plus soumis aux restrictions existantes chez EY.

Après le véto des associés américains du réseau EY, qui a fait échouer Everest, et compte tenu de ma décision de donner une autre orientation à ma vie professionnelle, mes interlocuteurs au sein du réseau EY et moi avons trouvé un accord sur les modalités de changement de notre collaboration. Nous avons ainsi convenu, dès la fin du mois de mai 2023, que je quitterai les diverses responsabilités que j’assume au sein du réseau EY et dans mes sociétés camerounaises et tchadiennes.

La procédure ayant abouti à la désignation de ce mandataire ad hoc, l’ordre du jour de cette assemblée générale ordinaire et divers autres points relatifs à sa tenue ont manifestement violé le droit applicable.

Conformément à ces accords, j’ai quitté le poste de directeur pays et j’ai même présenté au personnel du cabinet le directeur pays par intérim le 31 août 2023. Cependant, depuis le mois de juillet 2023, le réseau EY n’a rien fait pour mettre en œuvre nos accords et, au contraire, a tenté d’instrumentaliser un de mes anciens employés et s’est engagé dans des manœuvres, des mesures illégales et des actes d’intimidation pour m’évincer des sociétés et en prendre le contrôle.

IC : Le communiqué d’EY Cameroun indique que le réseau s’est restructuré autour d’Abdoulaye Mouchili, fait responsable de l’audit ; d’Anselme Patipewe, désigné responsable de la fiscalité et Erik Watremez, nommé directeur pays par intérim. Selon nos informations, M. Mouchili a également été porté à la tête de la société d’audit ECA Ernst & Young Cameroun à la suite d’une assemblée générale tenue début septembre 2023. Un processus que vous contestez. Pourquoi ?

JPN : Cette assemblée générale ordinaire a été convoquée par un mandataire ad hoc désigné par la justice à la demande de trois personnes. La procédure ayant abouti à la désignation de ce mandataire ad hoc, l’ordre du jour de cette assemblée générale ordinaire et divers autres points relatifs à sa tenue ont manifestement violé le droit applicable. Par exemple, deux de ces personnes n’étaient plus détentrices d’actions de ECA SA au moment où la justice a été saisie. Ces personnes n’avaient donc aucun intérêt à agir.

IC : Pour justifier votre limogeage, selon leurs termes, Ernst & Young soutient que vous vouliez dissocier les entités juridiques camerounaises du réseau EY Global. Ce qui ne serait pas admis par leurs règles de régulation et de gouvernance… Que répondez-vous à cela ?

JPN : Il convient de rappeler que les accords d’adhésion au réseau EY prévoient les cas de sortie du réseau. Et parmi les exactions ayant motivé notre décision de sortir de ce réseau, il y’a la suspension arbitraire et sans préavis, le 5 octobre 2023, de l’accès aux outils informatiques fournis par EY. Suite à cela, Ernst & Young Cameroon Sarl, société que j’ai créée en 2011, qui a adhéré au réseau EY en fin 2011, et dont je détiens la totalité du capital, a effectivement notifié à EY Global Ltd, la société de droit britannique qui gère le réseau EY, sa décision de quitter ce réseau. Cette sortie emporte celle de toutes les autres sociétés situées au Cameroun et au Tchad.

Mes engagements comme fondateur et dirigeant des sociétés camerounaises membres du réseau EY ont toujours été scrupuleusement respectés.

La notification envoyée à EY Global Limited se réfère bien à l’article 18 des EY Regulations sur laquelle elle est fondée. Les dirigeants du réseau EY ont le droit de ne pas être d’accord avec moi. Nos accords prévoient que, faute d’accord ou de médiation satisfaisante, un tel différend doit être réglé par la Cour d’arbitrage internationale de la Chambre de commerce internationale (CCI).

IC : Vous revendiquez la propriété des sociétés Ernst & Young Cameroon SARL et ECA Ernst & Young Cameroun S.A. que vous avez renommées respectivement ECA Tax & Legal et ECA S.A. le 6 octobre 2023. Des actes que conteste le réseau EY. Lorsque vous quittiez, en 2011, la tête du département Afrique de EY à Paris pour étendre son réseau au Cameroun, quel était le deal entre EY et vous ? Et l’avez-vous respecté ?

JPN : Mes engagements comme fondateur et dirigeant des sociétés camerounaises membres du réseau EY ont toujours été scrupuleusement respectés. Le réseau EY et moi avons eu 12 années de très bonne collaboration au Cameroun et dans tous les pays que j’ai dirigés.

IC : Selon nos informations, les tensions avec EY remontent au projet Everest. Vous vous serez opposé aux options de l’entreprise faitière… Ce qui n’aurait pas plu. Que pouvez-vous nous dire sur cet épisode ?

JPN : L’opposition que j’avais exprimée contre les modalités annoncées de distribution de la plus-value générée par l’apport des activités de conseils mondiaux du réseau EY à une société nouvelle cotée à la bourse de New York, aux associés de 74 pays sur plus de 150, où des bureaux du réseau EY sont établis, avait été résolue à la satisfaction de mes associés concernés. N’eût été le veto des associés de EY États-Unis, qui a fait échouer ce projet, ce moment de divergence n’aurait été qu’une péripétie dans la vie de ce réseau.

L’acceptation des fonctions chez Savannah Energy et les investissements que vous citez ont respecté toutes les règles de déclaration et de notification prévues au sein du réseau EY.

IC : Que répondez-vous à ceux qui voient dans votre limogeage ou alors la résiliation de vos accords avec Ernst & Young, une conséquence de votre prise de participations dans la junior pétro-gazière britannique Savannah Energy ?

JPN : Comme je viens de vous le dire, je n’ai jamais été limogé. J’ai décidé de quitter le rôle de représentation que j’avais comme directeur pays du réseau EY pour le Cameroun et le Tchad et ECA Tax & Legal a décidé de mettre un terme à son adhésion au réseau EY. Aucun de ces deux événements n’est une conséquence d’une quelconque prise de participations dans aucune société.

IC : Quand vous dirigiez le département Afrique de EY à Paris, n’étiez-vous pas salarié ? Si oui, quand est-ce que ce contrat de travail a pris fin ? 

JPN : J’ai été salarié, puis associé de Ernst & Young société d’avocats France jusqu’au 31 décembre 2013.

IC : Il nous est revenu que lorsqu’on occupe des fonctions de haut niveau au sein du réseau Ernst & Young, comme c’était votre cas, il est formellement interdit de prendre des participations dans une entreprise. À moins d’être expressément autorisé par le cabinet, après une demande dûment examinée par ses instances de régulation. Avez-vous respecté ces clauses avant l’achat d’actifs dans Savannah Energy ?

JPN : Bien évidemment. Cela fait 25 ans que je travaille au sein du réseau EY, et j’ai d’ailleurs occupé des fonctions importantes dans plusieurs pays, avant mon retour au Cameroun. L’acceptation des fonctions chez Savannah Energy et les investissements que vous citez ont respecté toutes les règles de déclaration et de notification prévues au sein du réseau EY.

Il est étonnant de voir l’insistance de beaucoup, y compris de personnes initiées à l’économie et à la finance, à croire que l’aide de personnalités publiques est requise pour financer un investissement de cette taille.

IC : Cette opération vous aurait couté plus d’un milliard de FCFA. Comment avez-vous mobilisé cet argent ? Avez-vous bénéficié de l’aide de quelques « personnalités camerounaises » qui, selon le gouvernement tchadien, gravitent autour cette entreprise pétrolière ?

JPN : Il est étonnant de voir l’insistance de beaucoup, y compris de personnes initiées à l’économie et à la finance, à croire que l’aide de personnalités publiques est requise pour financer un investissement de cette taille. Votre magazine me semble très bien placé pour renseigner les lecteurs sur les nombreuses solutions de financements disponibles sur le marché et auprès des institutions bancaires pour de telles transactions, compte tenu notamment de mon profil comme investisseur. 

IC : Vous êtes entrés en contact avec cette junior pétro-gazière britannique alors que vous travailliez pour Ernst & Young. Ce qui, selon nos sources, constitue une atteinte à l’éthique dans le réseau Ernst & Young. Que répondez-vous à ces soupçons de délit d’initié ?

JPN : L’opération que vous visez ne constitue pas une atteinte à l’éthique du réseau Ernst & Young. Je viens de vous dire que les organes compétents de ce réseau ont été informés en temps et en heure, et que toutes les formalités et procédures applicables ont été respectées. Et, en particulier, rien ne justifie ces soupçons de délit d’initié.

IC : Dans votre communiqué, vous rassurez les clients et les autres partenaires d’une poursuite sereine de la collaboration avec les entités désormais autonomes, qui travaillaient jusqu’ici sous le label d’EY. On s’achemine là vers une dispute des clients entre vous et EY Cameroun…

JPN : Il faudrait pour cela que le réseau EY établisse une présence au Cameroun. Au moment où je vous parle, EY fait surtout usage de la calomnie et du dénigrement. La réalité est que EY Cameroun, qui signe ces communiqués, est une société virtuelle. Elle n’existe pas !

Les clients ont des contrats de prestations de services avec des personnes morales qui ont changé de dénomination, et qui continuent à rendre les services attendus. Au moment du renouvellement de ces contrats, certains clients pourront décider de nous mettre en concurrence avec d’autres prestataires, dont EY Cameroun, si cette société existe.

Interview réalisée par Aboudi Ottou et Brice R. Mbodiam

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